Un gala télévisé, ce n'est jamais très excitant de toute façon. Un carcan trop rigide à respecter, des commanditaires à contenter, des conventions et des traditions à perpétuer...

Celle-ci, par exemple: offrir le prix du meilleur film à un producteur inconnu des téléspectateurs. C'est comme récompenser les parents d'un élève pour ses résultats scolaires lors d'un Gala Méritas. Pour clore une soirée, ça manque de poésie. Ce n'est pas parce que les Oscars le font que c'est une bonne idée.

La soirée des Jutra, malgré quelques bons flashes (merci, Didier Lucien et autres André Turpin), a manqué de tonus, dimanche. Rémy Girard est un acteur immense, mais son animation «vieille école» se traduisait mal au petit écran.

Ce n'est pas l'animation de Girard qui m'a le plus déçu. Ni le rythme syncopé du gala. Ni même la très mauvaise idée d'inviter les trois jeunes acteurs des Parent à présenter le prix du meilleur scénario (à un film qu'ils se félicitaient de n'avoir pas vu). «Pourquoi on est là?», se demandaient-ils à tour de rôle. Pour faire la promotion de Radio-Canada, les gars...

Avec cette «fausse bonne idée», on a voulu, j'imagine, permettre aux téléspectateurs de s'identifier aux présentateurs. Eille! Nous aussi, on regarde un gala qui récompense des films qu'on n'a pas vus! C'tu drôle! Pour le «prestige» des Jutra, on repassera.

Moins de 17 000 Québécois ont vu au cinéma Rebelle de Kim Nguyen, qui a raflé la grande majorité des prix. Tout le gala a servi à nous rappeler comment le public québécois a boudé son cinéma en 2012. Et à lui suggérer de changer ses habitudes en 2013. Rémy Girard en a parlé, Michel Côté en a rajouté, Pierre Even (le producteur inconnu, mais néanmoins sympathique de Rebelle) a conclu la soirée en le répétant.

Ils n'étaient pas les seuls, du reste, à sembler dire «Venez nous voir plus souvent!» ou «Passez donc faire un tour un de ces quatre!» Comme une grand-mère qui s'ennuie de ses petits-enfants. Ou un restaurateur craignant la faillite.

Je n'ai rien contre les mesures incitatives permettant de mettre en valeur le cinéma québécois. Le gala des Jutra en est l'exemple par excellence. Radio-Canada pourrait obtenir le double d'audience avec n'importe quel épisode de Tout le monde en parle (malgré certains mots d'esprit de Dany Turcotte). Il continue de diffuser un gala qui, bon an, mal an, récolte des cotes d'écoute médiocres. On l'en félicite, même si cela fait partie de son mandat.

Je n'ai rien, disais-je, contre le fait d'encourager le public à fréquenter davantage les salles où l'on présente des films québécois. J'en ai en revanche contre cette manie, omniprésente dimanche, à pratiquement supplier le public à «acheter» québécois.

Le cinéma québécois n'a rien de monolithique. On peut adorer les films de Philippe Falardeau et détester ceux de Xavier Dolan. Ou être complètement indifférent à certaines oeuvres de Kim Nguyen et ébloui par d'autres. Or, dimanche, j'avais l'impression d'entendre tout un chacun mentionner le cinéma québécois comme s'il s'agissait d'un shack à patates en manque de clientèle, servant une seule sorte de poutine.

Il y a quelque chose de désolant à voir l'industrie du cinéma demander ainsi l'aumône. À «faire pitié» en direct à la télévision, un média qui ne s'abaisserait jamais à ça. Un peu de dignité! C'est le ton qui m'agace. Le ton à la fois insistant et légèrement infantilisant de celui qui dicte: «Regardez, c'est bon pour vous. Mangez-en en grande quantité!» C'est vendre notre cinéma comme on vendrait du brocoli.

Il me semble que le cinéma québécois n'en est plus là. Que sa maturité commande plus de retenue que ce racolage insistant. Depuis 15 ans que je travaille comme critique de cinéma à La Presse, j'ai vu le cinéma québécois passer de quantité négligeable à saveur du mois à bon ami que l'on tient un peu pour acquis. Mais il reste en bien meilleure santé en 2013 qu'il ne l'était en 1998.

La dernière année en fut une de vaches maigres aux guichets pour le cinéma québécois, soit. Mais une crise? Vraiment? Dimanche, dans l'attitude défaitiste de bien des gens, on sentait non seulement un vent de crise, mais la panique d'un milieu fragile et peu assumé, prenant soudainement la mesure de son incapacité à être aussi rassembleur et consensuel que la télévision.

Il ne le sera pourtant jamais. Comparer l'attrait de la télé et du cinéma auprès du public québécois, c'est comparer des pommes et des mésanges. Des mésanges, ça ne se mange pas. Ce qui est tangible, et que l'on mesure depuis plus d'une dizaine d'années, c'est le regain d'intérêt des Québécois pour leur cinéma.

Non, ils ne se rendront probablement pas par centaines de milliers dans une poignée de salles pour voir un film en lingala sur des enfants soldats au Congo. En est-on surpris? Est-ce vraiment grave?

Ils restent pourtant ouverts à découvrir de jeunes cinéastes talentueux - qui poussent ici comme des champignons - et à suivre ceux qu'ils ont déjà adoptés. Et ils défient parfois tous les pronostics en se rendant en masse voir l'adaptation d'une pièce de théâtre pour la moitié sous-titrée, campée au Moyen-Orient, ou l'histoire d'un prof maghrébin arrivé mystérieusement dans une école primaire de Montréal.

En voilà, s'il en faut, des raisons de se rassurer.