C'est une formidable et effrayante foire. Cinq jours plus tard, j'ai toujours l'impression d'avoir été avalé par la bête tentaculaire qu'est South by Southwest (SXSW). Une ville comme un carnaval dense et éclaté, bien plus que Montréal peut l'être l'été.

Il y a à Austin ces jours-ci des spectacles de musique à perte de vue, à tous les coins de rue, dans tous les recoins de la ville, sur les toits des édifices, dans les bars et les amphithéâtres, dehors et à l'intérieur.

Marcher dans la 6e Rue, c'est faire l'expérience de l'éveil de tous ses sens. Death métal dans un bar à gauche; country dans une salle à droite. Badauds de toutes origines et formats, formant une masse humaine sur le party. Gare aux agoraphobes!

Le festival, dans sa 26e année, est-il devenu trop gros pour son propre bien? Certains se posent la question, en se demandant s'il ne devrait pas y avoir plus de sélection de la part des programmateurs.

Je n'en suis pas convaincu. Cette surabondance, cette incroyable frénésie musicale, est aussi ce qui fait le charme (et la réputation) de l'événement. Dans la mesure où le niveau de qualité des groupes, même ceux entendus d'une oreille distraite en passant d'une rue à une autre, est généralement très bon.

J'ai adoré cette immersion dans un univers aussi hétéroclite. Cette multiplicité de spectacles en tous genres: country, folk, western, hip-hop, électro, rock indie, etc. Je me demande seulement, à la lumière de l'expérience des artistes québécois, comment on peut se démarquer dans un tel contexte de foisonnement, lorsque tous les festivaliers sont autant sollicités. Un mélange de bonne étoile et de talent, j'imagine.

Lundi, le Festival remettra à trois artistes désignés comme les «plus prometteurs» les nouveaux prix Grulke, à la mémoire de l'ex-directeur artistique de SXSW, Brent Grulke, disparu l'été dernier à 52 ans. Qui sait si les Montréalais de Half Moon Run ou des Besnard Lakes ne feront pas partie du lot? South by Southwest est une grande loterie, dont les gagnants ne sont souvent connus qu'à moyen ou long terme.

C'est le pari que font les artistes québécois en se rendant à Austin. Ceux qui arrivent précédés d'un fameux buzz ont certainement un avantage sur les autres. Le trio Half Moon Run faisait déjà tourner des têtes à South by Southwest l'an dernier et profite du fait qu'il jouera en première partie de Mumford and Sons en Europe au cours de l'été pour attirer des curieux sans ses salles de spectacle.

The Besnard Lakes, qui a été désigné par le magazine Rolling Stone parmi les 20 groupes «à surveiller» à SXSW cette année (avec, entre autres Vampire Weekend, Yeah Yeah Yeahs, Natalie Maines et Alt-J), faisait salle comble jeudi soir au Red 7, un bar de la 7e Rue. Les deux groupes ont sans doute pu profiter des nombreuses performances livrées à Austin cette semaine (neuf mini-spectacles pour Half Moon Run) pour élargir leur bassin d'admirateurs.

Mais peut-on en dire autant des autres? Pour les artistes francophones, la tâche est certainement plus ardue. Karim Ouellet, à son troisième passage dans la capitale texane, a joué mercredi devant un public clairsemé au Swan Dive, le quartier général de la délégation québécoise.

Le bar de Red River Street, pourtant bien situé, a rarement été plein cette semaine, sinon lors du cocktail d'ouverture de Planète Québec, avec Half Moon Run. Jeudi en fin d'après-midi, les Québécois Peter Peter ont livré un excellent spectacle... devant à peine une trentaine de spectateurs. Alors que devant bien d'autres salles, on trouvait des files interminables. Dur, dur de faire sa niche.

C'est sur la durée que l'on risque de mieux mesurer l'impact (s'il en est) du passage à Austin des Lisa LeBlanc, Hôtel Morphée et autres Koriass. Sinon, ils pourront se consoler en se disant qu'ils ont participé à l'un des festivals de musique les plus excitants de la planète. En espérant qu'ils en aient profité.

Tournée de ville

Dans la rue Rainey, à l'écart du centre-ville, se trouve une série de bars sympathiques comme des petites maisons de campagne. C'est là que je suis tombé par hasard, espérant trouver Toro y Moi, sur l'ex-Montréalais de Wolf Parade, Dan Boeckner, et son nouveau groupe Divine Fits (avec l'excellent leader de Spoon, Britt Daniel), jeudi dans la nuit. Rock lourd mais mélodique, hyper vitaminé: chroniqueur comblé.

Trois adresses plus loin, une véritable performance artistique m'attendait, avec le groupe berlinois Bonaparte, son chanteur travelo et ses danseuses fétichistes s'éclatant sur du punk-rock déjanté. Une découverte. Comme du reste le groupe Black Violin, formé (on l'aura deviné) de violonistes noirs, qui rockent et rappent en cassant la baraque.

Auparavant, refoulé au spectacle de Alt-J et des Flaming Lips au Belmont, j'avais trouvé refuge à celui de Dave Grohl et ses Sound City Players au Stubb's. Le leader des Foo Fighters s'est payé la traite en interprétant avec Stevie Nicks, Rick Springfield, Cheap Trick ou encore John Fogerty, les classiques de leurs répertoires respectifs. Un spectacle rétro amusant, qui manquait malheureusement de cohésion.

La veille, j'avais passé un des très beaux moments du festival avec Iron and Wine au Moody Theater. Cuivres, piano, cordes et choristes accompagnant Samuel Beam pour une formidable soirée folk-rock. Les arrangements subtils et fluides des nouvelles chansons laissent espérer le mieux pour la sortie de son prochain album, le mois prochain.