Le sujet était inévitable. Il n'a pas été évité. Il a été question de l'anglais lors du Forum sur la chanson québécoise, organisé par le Conseil des arts et des lettres du Québec en début de semaine. Pour s'inquiéter de sa prépondérance, de son attrait, de la menace qu'il pose au français.

L'anglais n'est pas, tant s'en faut, ce qui menace le plus la musique québécoise. Ici comme ailleurs, on n'achète plus de disques, on télécharge de plus en plus illégalement des chansons. En bafouant le droit d'auteur sans y penser à deux fois, peu importe la langue d'expression.

L'industrie musicale québécoise est confrontée à des problèmes variés: manque de fonds destinés à la chanson, pénurie de salles de taille moyenne, soutien minimal des radios commerciales, où se pose de la manière la plus évidente le problème de la langue.

Alors que la radio demeure le principal vecteur d'influence, notamment chez les jeunes, en ce qui concerne les goûts musicaux, on y retrouve constamment les mêmes chansons en forte rotation, et très souvent, en anglais. La radio commerciale, homogène à en confondre les chaînes, est une école privée où l'on oblige tout le monde à porter le même uniforme, comme l'a fait remarquer Louis-Jean Cormier.

À la télévision, ce n'est guère mieux. Les émissions du type On connaît la chanson, La voix et autres Un air de famille font la belle part à la chanson anglophone et aux chansons francophones les plus connues, au détriment de ce que produisent aujourd'hui les artistes québécois. Et l'on s'étonne que les jeunes ne s'intéressent pas davantage à la musique québécoise.

Selon l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, la chanson québécoise anglophone a gagné en popularité depuis dix ans. Mais en 2011, il y avait 19 disques en anglais parmi les 50 albums québécois les plus vendus (contre 23 l'année précédente) et seulement deux parmi les dix premiers. «Les résultats de 2011 semblent indiquer qu'il s'agit peut-être d'un phénomène cyclique», croit le chercheur Claude Fortier.

Le phénomène, cyclique ou pas, est interprété de bien des manières. Avec, parfois, une intransigeance qui trahit davantage que la simple volonté d'assurer la pérennité de la chanson francophone au Québec.

La question de la langue est complexe et épineuse, pour des raisons évidentes. Comme me le faisait remarquer le collègue Alexandre Vigneault, personne ne s'est questionné pendant le Forum sur le fait que Montréal, deuxième ville francophone en importance, est surtout reconnue mondialement... pour ses artistes anglophones.

Même en France, ce sont les Arcade Fire, Godspeed You! Black Emperor, Grimes, Patrick Watson, Half Moon Run et autres Mac DeMarco qui font la réputation du «Montreal Sound». Celui d'hier comme celui d'aujourd'hui. Faut-il s'en inquiéter?

On félicite des comédiens comme Karine Vanasse, François Arnaud ou Sophie Nélisse, des cinéastes comme Ken Scott, Denis Villeneuve et Philippe Falardeau, de tourner dans la langue de Shakespeare. Pourquoi reprocher à des artistes francophones tels Pascale Picard, Ariane Moffatt ou Simple Plan (mais plus, curieusement, Céline Dion) de chanter dans la langue de Britney Spears?

L'anglais, qu'on le veuille ou non, est la lingua franca de la culture mondialisée de l'époque. On peut, devant ce constat, faire l'autruche. On peut composer une chanson comme Notre Home. Ou «faire face à la musique» (on m'excusera le calque) et accepter qu'une multitude de jeunes Québécois francophones, décomplexés, parlent un anglais impeccable, parfaitement intégré, sans pour autant renier leur langue maternelle, ce qui leur permet d'envisager une carrière internationale.

La réaction de certains à cette réalité me laisse pantois. Je n'en ai pas contre ceux - j'en suis - qui trouvent d'une importance capitale la protection la langue française au Québec. Mais contre le discours alarmiste de certains nostalgiques, adeptes de «l'après moi le déluge», qui perçoivent toujours l'anglais comme la langue de l'ennemi.

J'en ai contre l'idée romantique que certains se font de la chanson québécoise d'antan, qui serait forcément supérieure à celle qui se fait aujourd'hui. C'est une vue de l'esprit.

Il s'en trouve pour regretter que l'on utilise l'expression «c'est d'la marde» dans une chanson populaire, symbole (!) du déclin de la nation québécoise. Ou pour dénoncer, toujours dans Le Devoir, que des «thuriféraires de l'impérialisme culturel» (animateurs et journalistes) fassent «étalage de leurs connaissances en chanson anglophone en nous bassinant avec leurs analyses savantes sur les types et les sous-types de tous les rocks possibles». Il serait évidemment préférable de célébrer l'ignorance de tout ce qui se fait hors de nos frontières...

On m'excusera d'être aussi fleur bleue, mais le déni de l'autre n'est pas, il me semble, une condition à l'affirmation de soi. L'identité québécoise, pas seulement nationale mais culturelle, n'est pas un concept figé dans le temps ni, du reste, dans une langue.

L'identité québécoise se forge tous les jours, sous nos yeux, sans même que certains s'en rendent compte. Trop occupés qu'ils sont à écouter, en se berçant d'illusions, cette vieille rengaine d'Yves Duteil sur notre langue qui a survécu aux arpents de neige, au refroidissement éolien et à quoi d'autre encore. Ça, c'est d'la marde!