Les difficultés actuelles du Cirque du Soleil, qui a licencié 400 employés hier, n'étonneront personne. L'an dernier, quelque 50 personnes avaient déjà perdu leur emploi au siège social de la multinationale, dans le quartier Saint-Michel, à Montréal.

Le Cirque du Soleil, fleuron de l'économie culturelle québécoise, a aussi mis prématurément un terme à quatre spectacles depuis un peu plus d'un an. Viva Elvis, à l'hôtel-casino Aria de Las Vegas, a été retiré de l'affiche en août dernier, après deux ans et demi de représentations. Tout comme Iris, spectacle sur le cinéma, mal logé sur Hollywood Boulevard à Los Angeles, qui déclare forfait ce week-end après seulement 18 mois d'exploitation.

Les ambitions asiatiques du Cirque du Soleil n'ont malheureusement pas été à la hauteur des attentes de l'entreprise. Le spectacle Zed a été abandonné au complexe Disney de Tokyo, au Japon, il y a un an, comme celui de Zaïa à Macao, en Chine, faute d'un nombre suffisant de spectateurs.

Hier, le Cirque du Soleil a annoncé que le licenciement de 400 employés, en majorité au siège social de Montréal (où l'on compte environ 2000 de ses 5000 employés), était lié au contexte économique mondial, à la hausse des coûts de production et à la force du dollar canadien, qui empêchent l'entreprise d'être rentable malgré un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars en 2012.

Or, la perte de vitesse du Cirque du Soleil n'a pas que des fondements économiques. Et elle ne se résume pas qu'à des marchés ou des conjonctures difficiles. Depuis quelques années, les observateurs du milieu constatent un essoufflement créatif dans les activités de l'entreprise, ainsi qu'une absence de réel renouvellement artistique dans ses spectacles.

Le Cirque du Soleil compte en ce moment 19 productions dans le monde et projette, semble-t-il, d'en lancer de nouvelles à Las Vegas au printemps et à Montréal, un an plus tard. Les spectacles du Cirque ont beau être différents, ils ont en commun une esthétique visuelle et sonore très marquée, qui a été imitée partout et peut certainement paraître datée.

L'univers du cirque, notamment celui du cirque québécois, grâce à l'impulsion et au succès phénoménal du Cirque du Soleil, a beaucoup évolué depuis quelques années. À une vitesse plus élevée, peut-être, que le Cirque lui-même. Le Cirque du Soleil, depuis qu'il n'est plus seul, n'a plus l'attrait des premiers jours. Il n'étonne plus et n'attire plus comme il le faisait auparavant.

Est-il toujours assez audacieux pour être considéré à l'avant-garde de son art? A-t-il su s'adapter et innover suffisamment pour contrer les inévitables effets de mode du monde du spectacle? Rien n'est moins sûr.

Aujourd'hui, le Cirque du Soleil donne l'impression d'être condamné à gérer sa décroissance, faute d'avoir su protéger ses acquis, en s'éparpillant inutilement. De quoi sera fait son avenir dans un tel contexte? Difficile à dire. Mais il ne sera pas nécessairement rose.

Certains metteurs en scène ayant travaillé pour la multinationale laissent entendre, en coulisse, que le cadre du Cirque, que sa «formule unique», protégée comme une chasse gardée par ses fondateurs, ne permet pas aux artistes de s'épanouir pleinement en son sein. Ni de faire preuve de toute l'originalité dont ils sont capables et dont le Cirque aurait besoin.

Plusieurs constatent, à l'évidence, que le prestige du Cirque du Soleil s'est grandement effrité au cours des dernières années. Le Cirque du Soleil est devenu synonyme de Las Vegas. Pour le meilleur et pour le pire. Son lien privilégié avec la métropole du Nevada est certainement ce qui lui a permis de prendre une telle expansion, de rayonner à l'échelle internationale. Mais il est aussi, à mon sens, au coeur de ses difficultés actuelles.

Au départ, le Cirque du Soleil a procuré un certain vernis de prestige exotique à la capitale du toc et du kitsch américain, qui a pu attirer de grands restaurateurs et des artistes moins has been. Mais l'essence factice de Vegas a fini aussi par déteindre sur le Cirque qui, rendu gourmand par ses succès, s'est plongé dans quelques aventures hasardeuses dont il n'est pas ressorti indemne.

Les échecs ont laissé des cicatrices. Une image de marque abîmée, diluée, dévaluée, entre autres par des spectacles fort critiqués autour de l'illusionniste Criss Angel, de l'ancienne icône du Strip Elvis Presley ou encore d'un Michael Jackson à peine enterré. En faisant planer un parfum d'opportunisme.

Le Cirque s'est aussi engagé dans des voies parallèles malheureuses. Une émission de télévision intergalactique à l'eau de rose, à la démesure de l'ego de son fondateur et astronaute d'un jour Guy Laliberté. Ou encore, plus récemment, un film à grand déploiement réalisé par James Cameron, snobé par la critique et le public, qui accuse un important déficit. Rien, certainement, pour redorer un blason qui en a pourtant grand besoin.