C'est une question de perspective. On a dit et redit ces dernières semaines que le cinéma québécois avait connu une année de vaches maigres. Comme si la grosseur des vaches avait quoi que ce soit à voir avec le cinéma.

On a même parlé de «crise» pour qualifier les parts de marché du cinéma québécois, qui s'approchent des 5% (contre 10% environ en moyenne depuis une dizaine d'années). Cela ne surprendra personne, tant mon esprit de contradiction est réputé frôler la caricature, mais je ne suis pas d'accord.

Je repense à plusieurs longs métrages ayant pris l'affiche cette année - Camion de Rafaël Ouellet, Roméo Onze d'Ivan Grbovic, Bestiaire de Denis Côté, Laurence Anyways de Xavier Dolan, Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette, Le torrent de Simon Lavoie, Rebelle de Kim Nguyen, Tout ce que tu possèdes de Bernard Émond - et je constate qu'il s'est réalisé du très bon cinéma québécois en 2012.

La principale raison de la baisse de fréquentation, à mon sens? Les films destinés à attirer un large public n'ont pas obtenu les résultats escomptés. Le cinéma populaire a failli à sa tâche d'être populaire. Cela ne veut pas dire qu'il faillira à la tâche l'an prochain. Et ce n'est certainement pas une raison de jeter le bébé avec l'eau du bain.

«C'est clair qu'il y a un problème», croit le président de la SODEC, François Macerola, qui prend acte des résultats décevants du box-office, tout en rejetant l'hypothèse de la crise. Rencontré dans les bureaux de La Presse cette semaine, M. Macerola a parlé avec enthousiasme de la rencontre qu'il souhaite organiser fin janvier avec une vingtaine d'intervenants du milieu du cinéma. Il y sera question, entre autres, de vaches maigres...

François Macerola se questionne sur la responsabilité de la SODEC et de ses chargés de projet dans le désintérêt actuel des Québécois pour leur cinéma national. Elle est peut-être plus grande que ce que son président veut bien admettre.

Le principal bailleur de fonds québécois de notre production cinématographique a-t-il misé sur de mauvais chevaux? François Macerola rejette cette hypothèse, même lorsqu'on lui fait remarquer que la SODEC a investi

1,5 million dans L'empire Bossé, qui a fait chou blanc au box-office. Deux ou trois films ayant connu davantage de succès aux guichets auraient pourtant permis d'éviter la plupart des remises en question actuelles.

À la décharge de M. Macerola, il faut dire que si l'on peut se faire une vague idée du potentiel commercial d'un film, on ne peut garantir sa popularité à la seule lecture de son scénario (qui compte, selon le président de la SODEC, pour «95% de son succès»).

Le succès d'un film n'a rien d'une science exacte. N'en déplaise au ministre de la Culture, qui a déclaré il y a quelques jours à l'agence QMI vouloir commander une «analyse scientifique» à ses fonctionnaires, afin d'expliquer pourquoi «il n'y a pas cet engouement qu'on a connu avec des succès comme Le déclin, Les invasions barbares, C.R.A.Z.Y., J'ai tué ma mère». J'ai hâte de lire ce rapport. Aussi bien demander à des fonctionnaires d'élucider le mystère de la Caramilk...

François Macerola ne semble pas croire à cette solution miracle que tout le monde cherche (mais qui n'existe pas). Il souhaite que les scénarios présentés à la SODEC soient prêts à être tournés, pas des ballons d'essai, et que les producteurs soient plus sélectifs dans les projets qu'ils soutiennent. «La SODEC n'est pas une chambre de compensation», dit-il, en ajoutant qu'il envisage la possibilité d'imposer aux producteurs des quotas de films pouvant profiter chaque année d'un financement public.

À 70 ans, François Macerola n'a pas la langue dans sa poche. Il a dirigé l'ONF et Téléfilm Canada, a travaillé au Cirque du Soleil et en distribution de films. Il ne craint pas de déplaire. Avec un an à faire à son mandat (renouvelable), il veut faire de la SODEC un laboratoire de développement de scénarios, notamment avec l'étranger. Pour s'assurer, dit-il, que notre cinématographie soit variée.

Aussi, il ne semble pas obsédé comme d'autres par les parts de marché affaiblies du cinéma québécois en 2012. Voilà qui est rassurant. Se soucier avant tout des recettes aux guichets, c'est oublier ce qui a réellement marqué le cinéma québécois et enrichi à long terme notre cinématographie nationale cette année.

C'est faire fi du rayonnement international exceptionnel de notre cinéma. De la présence aux Oscars de Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau, choisi en début de semaine parmi les 10 meilleurs films de 2012 selon le Washington Post. Et de tous les prix remportés à l'étranger par Rebelle de Kim Nguyen (Ours d'argent de la meilleure actrice à Rachel Mwanza à Berlin), Camion de Rafaël Ouellet (prix de la mise en scène à Karlovy Vary) ou encore Laurence Anyways de Xavier Dolan (prix d'interprétation de la section Un certain regard à Suzanne Clément).

Se soucier surtout des parts de marché du cinéma québécois, c'est faire abstraction de la poésie à couper le souffle des vêtements tombant du ciel de Laurence Anyways, de l'accouchement bouleversant du checkpoint israélo-palestinien d'Inch'Allah, de la symbiose hors du commun entre les acteurs de Camion et du regard terrifiant de l'enfant-soldat albinos de Rebelle.

C'est oublier que le cinéma québécois, c'est bien plus que des vaches maigres.