«Fuck les jokes sur Marie-Élaine Thibert! Moi, j'aime le vrai trouble!» C'était mardi soir à l'Olympia, et l'humoriste Sugar Sammy, présentant son nouveau spectacle En français svp!, venait de faire une blague sur Céline Dion.

Il disait vouloir s'ajouter - avis aux intéressées - à la liste des couples les plus en vue du showbiz québécois: «Marilou et Guillaume, Véronique Cloutier et Louis Morissette, Céline Dion et son père... Désolé: son grand-père!»

Quand on connaît le degré de susceptibilité de René Angélil, qui a déjà obtenu d'un magazine à potins qu'il modifie sa première page et sacrifie plusieurs milliers d'exemplaires pour moins que ça, on se dit que oui, Sugar Sammy cherche le trouble.

C'est d'ailleurs ce qui fait la force de son premier spectacle entièrement en français (après le bilingue You're gonna rire, présenté en début d'année). Un spectacle qui commence avec cette phrase: «Welcome to my 100% french show». Pas baveux rien qu'un peu, le gars. Talentueux aussi, avec de l'esprit et de la répartie à revendre.

L'humoriste-québécois-s'étant-le-plus-illustré-dans-la-langue-de-Richard-Pryor se moque avec plaisir des Québécois francophones. Des médias québécois, qui ont fait leurs manchettes avec le gala Artis alors que le reste de la planète n'en avait que pour l'assassinat de ben Laden. Des journalistes sportifs qui ne parlent jamais du fait que P.K. Subban, le défenseur-étoile du Canadien, est noir. Des petites villes québécoises où il s'arrête en tournée depuis quelques mois. «Tu sais que t'es dans une ville de Blancs quand le personnel qui fait le ménage à l'hôtel est blanc!»

C'est lorsqu'il exploite cette dichotomie entre le Québec blanc francophone et le Québec ethnique polyglotte que Sugar Sammy, qui a grandi dans le quartier Côte-des-Neiges, est à son meilleur. «Est-ce qu'il y a des Indiens dans la salle? demande-t-il. Des vrais Indiens, pas ceux à qui vous avez volé les terres...»

Lorsqu'il prend à partie, au hasard dans la salle, des Italiens, des Haïtiens ou des Marocains, c'est pour mieux se moquer de tout le monde sans avoir trop l'air de se moquer de qui que ce soit en particulier. En l'occurrence les Québécois «de souche», qu'il égratigne avec son humour décapant, mais toujours assez gentiment.

Aux gens qui lui demandent pourquoi, contrairement aux habitudes, il a fait carrière à l'étranger avant de faire, à 36 ans, sa première tournée au Québec, il répond: «Parce que dans mon coeur, le Québec... c'est le rodage pour la France.» J'aime le ton irrévérencieux de cet humoriste qui ose se moquer de son public, tout en se moquant de lui-même.

J'ai beaucoup ri pendant la première moitié de ce spectacle 100% franco. Et jamais autant qu'à l'évocation d'une conversation dans un McDo avec un finissant de l'UQAM, vexé que l'humoriste ait laissé entendre, dans un vieux numéro, que les souverainistes n'étaient pas instruits.

Sugar Sammy a cet avantage sur d'autres humoristes de parler plusieurs langues, de bien comprendre la complexité linguistique et multiculturelle de Montréal, et d'avoir l'audace de s'en moquer. Pour tourner en dérision, par exemple, ceux qui, après son passage à Tout le monde en parle, lui ont dit sans rire que la diffusion de la Soirée du hockey en punjabi était une «menace au français». Ou pour s'étonner que le modèle du souverainiste ne soit pas «discontinué».

Malgré cette audace, je crois que Sugar Sammy sous-estime notre capacité collective à accepter qu'un humoriste d'origine indienne puisse casser du sucre (s'cusez-la) sur le dos de la majorité francophone. Et que même s'il prétend le contraire et dit se moquer de ceux qui ont l'épiderme sensible, cela le freine dans son humour.

C'est la seule explication que j'ai trouvée au brusque changement de ton de ce spectacle, qui délaisse à mi-parcours, après les avoir effleurées, les questions ethniques, linguistiques et politiques, pour se complaire dans le registre convenu de la blague de macho sur le couple, que l'on a entendue 100 fois.

Il y avait pourtant bien assez de matière riche et foisonnante à défricher pour soutenir tout un spectacle. Sugar Sammy parle très brièvement du référendum de 95 - les «ethnies», dit-il, faisaient leurs cartons en se demandant de qui ils deviendraient les esclaves - sans exploiter à fond le filon. Il se contente de quelques taquineries inoffensives sur les souverainistes. Et ne touche que quelques mots sur l'actualité des derniers mois: les tensions linguistiques, le conflit étudiant, l'élection d'un gouvernement péquiste.

Oui, Sugar Sammy cherche le trouble. J'aurais aimé qu'il le cherche encore davantage. Je l'aurais souhaité encore plus caustique. S'essayant, par exemple, à une blague sur l'attentat contre Pauline Marois. Ça, ç'aurait été autrement plus audacieux (et périlleux certes) qu'une joke de mononcle sur Marie-Élaine Thibert.

En lieu et place, Sugar Sammy s'appuie sur son grand talent d'improvisateur, comme sur une béquille, en cherchant l'interaction avec le public. Il abuse du procédé, si bien qu'on s'en lasse à force. Comme du reste de ses commentaires machistes sur les femmes et les gais. Il part avec l'ambition d'un Yvon Deschamps indien, et termine dans le registre d'Andrew «Dice» Clay, au ras des pâquerettes.

Bien sûr qu'on rit. Parce que Sugar Sammy a un talent comique, une livraison et un sens du «punch» hors du commun. Quelques-unes de ses blagues sur le couple sont très bien tournées. Mais on se prend à rêver à ce que ce spectacle pourrait être si ses textes étaient mieux travaillés, moins paresseux, moins recyclés et, pour singer le franglais de l'humoriste, plus tight. Lorsque Sugar Sammy est sur le fil du rasoir, il est dangereusement comique.