C'était jeudi dernier, à la Maison symphonique. J'assistais à un concert de l'Orchestre Métropolitain consacré à la musique de film. Celle, entre autres, de Star Wars: The Phantom Menace (1999). Un «programme spécial», manifestement destiné à élargir le public de l'orchestre et, surtout, à séduire de plus jeunes mélomanes. The Phantom Menace, quand même...

Autour de moi pourtant, à la corbeille, il n'y avait pratiquement que des têtes grises. Plus grises encore que la mienne. Moyenne d'âge approximative des 20 spectateurs les plus près de mon siège: 75 ans. Et je ne crois pas exagérer.

J'ai pensé que malgré l'inauguration de la Maison symphonique, malgré les efforts de «démocratisation» déployés par l'Orchestre Métropolitain, l'Opéra de Montréal, l'Orchestre symphonique de Montréal et autres Grands Ballets canadiens afin d'assurer le renouvellement de leur clientèle, le «défi de la relève» pour ces institutions restait entier.

Que l'on me comprenne bien: un public de mélomanes d'expérience, particulièrement avertis disons, n'est pas moins valable qu'un public qui n'a pas connu Chostakovitch de son vivant. Mais pour assurer la pérennité d'une institution comme l'Orchestre Métropolitain, il peut être inquiétant de constater qu'une quantité appréciable de spectateurs se déplace difficilement et a dépassé l'âge prescrit pour apprécier les aventures de Tintin.

C'est ce que je ruminais après le concert, en sortant de la Place des Arts, lorsque j'ai aperçu, devant l'entrée de la Maison symphonique, rue Saint-Urbain, un minibus blanc garé fin seul, clignotants en marche. On ne pouvait pas le rater. Il était vide et éclairé. La porte était ouverte. Le chauffeur attendait ses passagers. Sur le côté, on pouvait lire, en grosses lettres: «Urgel Bourgie, spécialiste en pré-arrangements»...

Je me suis dit que la coïncidence était cynique. Ce n'était pas une coïncidence. Vérification faite, Urgel Bourgie, une entreprise funéraire, propose un service de navette pour les gens de l'âge d'or, de leur centre d'hébergement jusqu'à la Maison symphonique. En courtisant, oui, directement sa clientèle.

L'an dernier, les premières causes de désabonnement à l'Opéra de Montréal étaient la maladie et le décès. Ce n'est pas de l'humour noir. Lorsqu'on sait que les désabonnements comptent en moyenne pour 30% de la perte annuelle de la clientèle d'institutions comme l'Orchestre symphonique de Montréal, on comprend que celles-ci multiplient les efforts afin de rajeunir leur auditoire, notamment grâce à des événements mettant en vedette des musiciens pop, rock ou électro tels que Simple Plan ou DJ Champion.

Ma collègue Isabelle Massé en parlait samedi dans le cahier La Presse Affaires: tous ces efforts, ainsi que ceux de jeunes gens d'affaires, semblent porter leurs fruits. On remarque à la Maison symphonique comme à la salle Wilfrid-Pelletier la présence, croissante, d'un public plus jeune.

«Compte tenu du déménagement de l'orchestre à la Maison symphonique, 20% de la clientèle est désormais âgée de 34 ans et moins», m'a dit la porte-parole de l'Orchestre symphonique de Montréal, Julie Bélanger.

Il reste que les salles de concert de musique classique sont surtout peuplées d'un public assez âgé. À l'Opéra de Montréal, l'âge moyen des abonnés se situe à plus de 55 ans. À l'Orchestre symphonique de Montréal et à l'Orchestre Métropolitain, on n'a pas été en mesure de me transmettre cette information hier, mais la moyenne d'âge n'est sans doute pas très différente. Même si, à vue de nez, de manière générale, le public de l'OM semble un peu plus jeune que celui de l'OSM (c'était déjà le cas, du reste, à l'époque où j'étais étudiant et abonné à l'Orchestre Métropolitain, au début des années 90).

Il y a aussi, évidemment, le problème de la fréquentation générale. Les salles de concert montréalaises sont parfois clairsemées. C'était le cas jeudi dernier, dans les premières rangées. Selon l'Observatoire de la culture et des communications, la moyenne d'occupation des salles pour un événement culturel au Québec est de 72%, alors que pour la musique classique et l'opéra, elle n'est que de 63%.

Afin de combattre le vieillissement de leur clientèle, un phénomène mondial, les orchestres et les opéras procèdent depuis quelques années à un rajeunissement de leurs directeurs musicaux. En espérant que cette image de dynamisme provoque un effet d'entraînement auprès du grand public.

À l'Orchestre Métropolitain, c'est Yannick Nézet-Séguin lui-même qui prête sa voix au système téléphonique central. «Pour joindre Untel, composez le 34.» C'est ce que l'on appelle s'impliquer dans toute les sphères d'activité de son entreprise. En souhaitant que le dévouement du jeune maestro, et celui d'autres, donne l'impulsion nécessaire à la survie de nos institutions. Afin que nos orchestres restent, pour longtemps, à une saine distance des pompes funèbres.