Une jeune femme menace d'accoucher dans un taxi. Elle saigne abondamment. Son enfant aura besoin d'oxygène. Il faut se rendre à l'hôpital d'urgence. La route est bloquée. Rien ne bouge. Ordre militaire.

Un jeune soldat israélien monte la garde. Il porte sa mitraillette bien haut. Un Palestinien de son âge, fin vingtaine jeune trentaine, le supplie du regard. Sa voix tremble. Laissez-nous passer s'il vous plaît. Ma soeur va accoucher, il faut aller à l'hôpital.

Le soldat ne bronche pas. Le Palestinien lui dit, l'échine courbée, de sa voix la plus tendre, désespéré: il y a un match aujourd'hui. Tu es fan du Barça? Puyol, quel grand défenseur! Le doute voile un instant le regard du soldat. Il relâche un peu sa mitraillette. Image d'espoir, nimbée de lumière nacrée.

Deux hommes. Ils se ressemblent. Ils ont le même âge. Ils pourraient être de la même famille. Deux cousins sémites. Que tout oppose. La guerre, l'histoire, la religion, les convictions. Un dominant devant un dominé. L'absurdité de leur situation, sa complexité, les fige dans l'immobilisme. Mais grâce à l'évocation d'un terrain (vert) d'entente, naît l'empathie de l'occupant pour l'occupé.

C'est une magnifique scène de cinéma. De grâce et de subtilité. Comme l'est du reste le très beau film d'Anaïs Barbeau-Lavalette. Inch'Allah, à l'affiche vendredi, est tissé de fine soie. Dans les gestes, les regards, les gros plans, les dialogues. Dans la présence discrète et poétique d'un enfant, Safi, symbole d'une paix encore possible. Dans les détails.

Sur la porte de la clinique de fortune d'un camp de réfugiés palestiniens où travaille Chloé (Évelyne Brochu), une obstétricienne québécoise, il y a une affiche: un cercle rouge avec une barre oblique, interdisant, non pas la cigarette, mais la mitraillette. Sur le mur de séparation érigé par Israël pour marquer sa frontière avec la Cisjordanie (reconstitué de toutes pièces pour le tournage), un graffiti: «Ctrl+Alt+Delete».

Ces attentions au détail ajoutent au réalisme cru de ce film ancré dans le présent, au point où l'on en oublie que les figurants sont des figurants. Il y a des dizaines de Palestiniennes qui accouchent chaque année dans des taxis parce que la route est bloquée ou qu'il faut passer par un checkpoint. Ce n'est malheureusement pas exceptionnel.

Inch'Allah a été inspiré par des histoires vécues, des personnes réelles, les propres expériences d'Anaïs Barbeau-Lavalette en Israël et en Palestine. Cela se sent. Son film est habité par la vérité. On ne s'étonne pas qu'une société de production israélienne ait voulu participer à son montage financier.

J'ai été impressionné par la sagesse d'Anaïs. Par l'équilibre, la nuance, la justesse de son regard, dénué de complaisance, sur un conflit qui suscite depuis toujours des réactions très polarisées. Elle ne diabolise pas les soldats israéliens ni les terroristes palestiniens. Le portrait qu'elle brosse du conflit évite toute forme d'angélisme ou de manichéisme.

C'est un regard féminin, autour d'un personnage féminin, entouré essentiellement de femmes. Chloé (interprétée avec une infinie justesse par Évelyne Brochu) se lie d'amitié avec Ava, une soldate israélienne qui est sa voisine de palier à Jérusalem, et avec Rand, une de ses jeunes patientes palestiniennes, qui passe ses journées dans une décharge de l'autre côté du mur.

Ce regard féminin, cette présence féminine, a beaucoup à voir, à mon sens, avec la douceur et l'espoir qui se dégage d'Inch'Allah. Pourtant, le film commence par un attentat à la bombe, dans un café. Et la bombe humaine est une femme. D'aucuns reprocheront sans doute à Anaïs Barbeau-Lavalette de nous montrer la genèse, les racines de l'acte terroriste. D'humaniser ses personnages pour mieux comprendre celui ou celle qui n'a rien à perdre. Un terrain forcément miné.

«C'est tout le contraire que je veux faire, m'a-t-elle confié cette semaine. En tentant de les rapprocher de nous, j'essaie de nous les faire comprendre sans jamais les justifier. Ce qui peut être dérangeant, c'est de donner un visage humain à la violence. On apprend à connaître les personnages, on croit les comprendre. Qu'ils arrivent à des actes incompréhensibles est choquant et troublant. C'est normal que ça nous confronte. Mais ça ne veut pas dire qu'on le justifie.»

Certains reprocheront aussi à la cinéaste de ne pas assez nous expliciter la situation géopolitique, les personnages, le contexte narratif. Craignant cette réserve, les producteurs du film, Luc Déry et Kim McCraw de micro_scope (derrière Incendies et Monsieur Lazhar) ont ajouté des informations de ce type sur le site internet du film. (www.inchallah-lefilm.com)

Si j'avais un reproche à faire à la cinéaste, au contraire, se serait de trop nous en dire, dans un dernier acte à mon sens précipité, où le rythme du film s'emballe soudainement, nous laissant seuls à recoller les morceaux du puzzle.

On le dit constamment à Chloé, dans un camp comme dans l'autre: cette guerre n'est pas la sienne. Or ce conflit nous appartient tous. On ne peut y rester insensible. On ne peut rester impassible devant tant d'injustice. Comme on ne peut rester impassible devant tant de violence et de haine. Ni du reste, devant ce film fort, et vrai.