En 1991, Michel Dumont, un homme sans histoire, a été condamné pour un viol qu'il n'a pas commis. Cet électricien en arrêt de travail, livreur dans un dépanneur, n'a été acquitté que 10 ans plus tard, après avoir passé

34 mois en prison. Des années de détention où il a lui-même été agressé physiquement et sexuellement. Un cauchemar.

À ce jour, Michel Dumont n'a toujours pas été indemnisé par l'État pour cette erreur judiciaire. Une injustice qui a inspiré à Daniel Grou (Podz) son plus récent film, L'affaire Dumont, à l'affiche depuis hier.

Peut-on rendre compte d'une telle affaire, dans une oeuvre de fiction, sans se transformer d'une manière ou d'une autre en justicier? C'est la question que je me pose depuis que j'ai vu L'affaire Dumont, lundi. Michel Dumont a été floué. On a abusé de sa confiance aveugle en la justice, de son manque de ressources et d'instruction, de sa négligence. La machine judiciaire n'en a fait qu'une bouchée, sur la foi du témoignage d'une victime, qui s'est révélée être peu crédible.

L'affaire Dumont, tel qu'il est précisé d'entrée de jeu, est «basé sur des faits réels». Son scénario reproduit même fidèlement des extraits du procès en première instance de Michel Dumont. Les témoignages de cinq amis soutenant son alibi - Dumont jouait aux cartes le soir du viol -, rejetés en bloc par la juge Pelletier; les réflexes peu aiguisés de l'avocat de Dumont; le travail de sape des témoins de la défense par la procureure de la Couronne.

L'affaire Dumont est un film cru, autant dans son esthétique que dans son propos. Les éclairages naturels, la caméra à l'épaule, le style développé par Podz, en particulier au cinéma (Les Sept Jours du Talion, 10 ½), s'accordent parfaitement avec le récit. Une attention maniaque a été apportée au moindre détail: l'appartement de Dumont, les vêtements et les coupes de cheveux de ceux qui ont joué un rôle dans le drame, même en périphérie, sont conformes à ce que l'on a pu voir dans un reportage d'Alain Gravel à l'émission Enjeux de Radio-Canada, et dont un extrait a été intégré au récit.

L'affaire Dumont reste une oeuvre de fiction. À thèse, même si ses auteurs s'en défendent. Cette thèse, ou ce que l'on en retient, c'est que le système judiciaire québécois est gangrené par l'incompétence. Ce qui peut sembler un peu court.

Michel Dumont a été victime d'une grave erreur judiciaire. Il ne semble pas y avoir de doute à ce sujet. Une série de négligences de sa part, de celle de son avocat, de la juge, a conduit à ce verdict absurde.

La victime, beaucoup moins fiable que son témoignage pouvait le laisser entendre, a identifié Michel Dumont sans lunettes alors qu'elle était myope. Elle avait décrit son agresseur comme un homme tatoué, «costaud et grassouillet», alors que Dumont, sans tatouages, pesait à l'époque 130 livres. Il n'y a pas eu de test d'ADN et toute la preuve a été construite sur la seule foi de ce témoignage vacillant.

À plusieurs reprises par la suite, la victime a déclaré aux policiers que Michel Dumont n'était pas son agresseur, qu'elle s'était méprise sur son identité. Cet élément de preuve n'a jamais été communiqué à la défense et il n'en a jamais été fait mention devant la Cour d'appel.

Il fallait dénoncer cette injustice. En raison de son emprisonnement, Michel Dumont n'a pu voir ses enfants pendant plus de deux ans. En prison, on l'a agressé. Ses enfants, placés dans des foyers d'accueil, ont aussi été maltraités. Sa femme Solange (Marilyn Castonguay, lumineuse), mère monoparentale de trois enfants qu'il a épousée pendant qu'il purgeait sa peine, a tout sacrifié pour faire reconnaître son innocence.

L'affaire Dumont témoigne aussi de cette histoire d'amour atypique. Entre une femme courageuse et un homme spolié, broyé par l'injustice. Le film de Podz, un «procès du procès», fait certainement oeuvre utile. Mais il ne s'en tient pas qu'à cela. «C'est aussi un film qui dénonce un système qui protège l'incompétence», déclare le réalisateur, qui semble aussi faire le procès de l'appareil judiciaire dans son ensemble.

Je comprends son intention, je respecte son engagement, louable, admirable, mais je ne suis pas convaincu du résultat. Le scénario de Danielle Dansereau (Le Négociateur, 19-2), efficace, bien mené, souffre à mon avis d'un certain manque de nuance. La licence artistique permet à un scénariste d'appréhender les faits à sa manière. Mais lorsqu'il est question d'une «histoire vraie», cette licence vient avec son lot de responsabilités.

Je ne saurais dire exactement ce qui m'a agacé dans L'affaire Dumont. Cela tient à des détails, dans le traitement, parfois trop proche du pamphlet didactique, qui se traduit mal à mon sens au cinéma. Ce qui est étonnant, dans la mesure où Podz est un cinéphile maîtrisant admirablement bien les codes du septième art.

On sent bien qu'il a voulu par son film rendre justice, voire «réparer une erreur» en quelque sorte, dans les limites de ses moyens. On ne saurait le lui reprocher. Mais cette intention paraît parfois laborieuse à l'écran, nuit à l'émotion qui s'en dégage et pèse sur l'équilibre artistique du film.

L'affaire Dumont, au final, n'évite pas tous les écueils du docu-fiction judiciaire. Le film se conclut avec beaucoup d'information à l'écran. Ce que l'un est devenu, la promotion de telle autre malgré son apparente incompétence. Des informations qui alourdissent le film, qui perd ainsi en cinéma ce qu'il gagne dans sa démonstration d'une dérive judiciaire. Parfois, à trop vouloir en faire, on sacrifie malheureusement à l'art.