On ne remarque pas qu'il porte les cicatrices d'une condamnation à mort. Salman Rushdie, que je rencontre seul dans une chambre d'hôtel de Toronto, est paisible, affable et charmant. Un gentleman de 65 ans au regard vif et à l'humour fin. Un survivant.

En 1989, une fatwa (décret religieux) de l'ayatollah Khomeini d'Iran, considérant blasphématoires les libertés prises par l'écrivain britannique dans ses Versets sataniques, l'a contraint à la clandestinité. Pendant près d'une décennie, il a vécu dans différentes demeures tenues secrètes en Grande-Bretagne. Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille.

Depuis que la fatwa a été levée, en 1998, Rushdie vit à visage découvert, à New York. Il assistait hier soir, dans le cadre du Festival international du film de Toronto, à la soirée de gala consacrée à son premier long métrage à titre de scénariste, Midnight's Children, d'après le roman qui lui a valu le prix Booker en 1981.

Le film de la Canadienne Deepa Metha raconte en près de 2h30 les quelque 600 pages et 30 ans d'histoire de cette fable foisonnante, animée par des enfants dotés de pouvoirs magiques, nés au même moment que l'indépendance de l'Inde en 1947. Une oeuvre académique et fastidieuse, qui peine malheureusement à trouver un ton juste.

Midnight's Children, qui doit prendre l'affiche au début de novembre, a aussi connu une naissance difficile. Son financement a été laborieux et son tournage a même été interrompu quelques jours en raison d'ingérence politique et de menaces diplomatiques de l'Iran au Sri Lanka, où le long métrage a été filmé.

«Les Iraniens, pour des raisons mystérieuses, ont décidé d'essayer de nous mettre des bâtons dans les roues, dit Rushdie. Je ne peux imaginer pourquoi. Il ne s'agit pas des Versets sataniques. Je ne sais pas qui exactement a pris la décision. Quelqu'un dans un bureau étranger sans doute, qui en a discuté avec un ambassadeur sri-lankais. Il a fallu s'adresser personnellement au président du Sri Lanka pour pouvoir reprendre le tournage.»

On en revient toujours à la fameuse fatwa, lui fais-je remarquer. «Qu'est-ce que je peux faire? demande-t-il en haussant les épaules. C'est comme être atteint d'une maladie incurable que je traîne et qui vient constamment me hanter. Une sorte d'herpès!»

Une «maladie» qui l'a rendu célèbre. Dans une semaine, Salman Rushdie doit faire paraître son autobiographie, dont le titre, Joseph Anton: A Memoir, réfère au pseudonyme qu'il a choisi pendant la fatwa et qu'il a emprunté à deux de ses auteurs préférés, Conrad et Tchekhov.

Biographie

Une autobiographie dont la traduction française doit paraître en octobre et autour de laquelle règne le plus grand secret. Rushdie refuse d'en parler, expliquant que son éditeur et le producteur de son film préfèrent bien distinguer les deux lancements quasi simultanés.

«Que pouvez-vous m'en dire?» que je lui demande tout de même. «Rien! répond-il en riant. C'est à propos de ma vie. Mes patrons m'interdisent d'en dire davantage...»

J'insiste: sera-t-il seulement question de la période de la fatwa? «Ce n'est pas seulement à propos de ces années, dit-il. Je parle aussi de mon enfance et de ma jeunesse, dans une première partie qui fait presque 100 pages. J'ai décidé d'écrire une autobiographie parce que ma vie est devenue intéressante. Je me suis dit qu'il y avait là une histoire à raconter. Mais l'autobiographie n'est pas un genre qui m'intéresse. Je n'ai jamais cru que je m'y soumettrais. Je ne croyais pas que ça pourrait intéresser quelqu'un. J'ai fini par le faire...»

A-t-il trouvé l'exercice libérateur? «Oui, c'est vrai. Cela en a valu la peine. Mais je ne peux en dire plus...»

Un grand maître

C'était sans doute la première la plus attendue du TIFF. Il y avait foule, vendredi soir, pour la projection de The Master de Paul Thomas Anderson au Princess of Wales Theatre. Le film a commencé avec 45 minutes de retard. L'attente en a amplement valu la peine.

Le cinéaste de Magnolia et Boogie Nights, qui a remporté samedi à Venise le Lion d'argent de la mise en scène - ainsi que le Prix d'interprétation (pour Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix) - a signé une oeuvre magistrale d'élégance.

Un film ambitieux et fascinant, magnifiquement tourné (en 70 mm), avec des plans saisissants, dans la continuité de There Will Be Blood (la bande sonore, puissante, est encore une fois signée Johnny Greenwood).

Seymour Hoffman incarne le «Maître», un dirigeant de secte charismatique, qui se dit docteur, auteur, scientifique, et qui rappelle inévitablement Ron Hubbard, le fondateur de l'Église de Scientologie. Après la Seconde Guerre mondiale, il s'acharne à appliquer sa «Méthode» à un ancien marin alcoolique et obsédé sexuel (Phoenix), qu'il souhaite remettre sur le droit chemin. Un grand film, porté par deux formidables performances d'acteurs, The Master doit prendre l'affiche le 28 septembre au Québec.