Ils traînent sur la table de chevet en attendant que l'on daigne s'y intéresser. Tous ces romans négligés en prévision de l'été.

Premier aveu : je suis un lecteur boulimique par intermittence. Lire quatre ou cinq pages avant de m'endormir, très peu pour moi. Je me rattrape au moment des vacances, en enchaînant les bouquins. Si l'expression « lecture d'été » ne me dit rien qui vaille - qu'est-ce qu'un livre «estival»?-, je préfère (autant que faire se peut) ne pas bronzer idiot.

Aussi, depuis quelques semaines, j'ai alterné entre le nouveau et le vieux, le classique et le moderne, le papier et le numérique, l'anglais et le français, l'européen et l'américain, F. Scott Fitzgerald et Romain Gary.

Second aveu : je n'ai pas encore lu de livre québécois cet été. Qu'on me jette la première pierre. Lire « étranger », que je sache, n'est pas une tare rédhibitoire. Je termine Guerre et paix - j'en suis à la page 40 où, en découvrant qu'Anatole n'était pas brillant, j'ai compris une énigme de la télévision québécoise - et je m'attelle à La juste part de David Robichaud et Patrick Turmel, premier essai publié par l'équipe de Nouveau Projet.

Avant d'en arriver à Tolstoï, j'ai commencé par un roman court, pour repartir la machine : Indignation de Philip Roth (Gallimard, 2010). Un titre dans l'air du temps... Un entremets du vénérable et prolifique auteur de Pastorale américaine et de La tache, qui publie à une fréquence d'un roman par année environ.

C'est l'histoire d'un enfant chéri du New Jersey, fils unique d'un boucher juif aux angoisses envahissantes, qui s'exile dans une université de l'Ohio, dans les années 50, pour survivre à ce trop-plein d'amour filial. Roman noir sur le passage à l'âge adulte, qui se pose également comme une métaphore de la guerre de Corée, Indignation est un « petit » Roth. Par sa brièveté surtout. Un Roth inspiré néanmoins, comme toujours, par la plume suave et ironique d'un maître romancier.

Dans un registre beaucoup plus dense et échevelé, L'éternité n'est pas si longue de Fanny Chiarello (L'Olivier, 2010), auteure française de 38 ans, est un roman d'anticipation annonçant la fin de l'humanité, incapable de lutter contre une variole fulgurante. L'écriture est foisonnante et tonique, et les réflexions de Nora, personnage fragile et tourmenté, sur le temps qui passe, la futilité de ce qui nous entoure, l'amitié et l'amour, sont d'une grande acuité.

Sukkwan Island de l'Américain David Vann (Éditions Gallmeister), prix Médicis étranger 2010, m'attendait sur la table du salon depuis plusieurs mois. Un cadeau d'anniversaire. Il s'agit du récit glacial d'un père dépressif qui entraîne son fils de 13 ans à vivre en autarcie pendant un an dans une île déserte de l'Alaska. Une proposition faite au même âge par son propre père à l'auteur, qu'il avait refusée quelques semaines seulement avant le suicide du paternel. Un premier roman fort bien maîtrisé, dur, brutal, écrit comme une catharsis, sur l'homme dans ses derniers retranchements.

Depuis le temps que j'entends parler de David Foenkinos, j'ai pu constater de mes propres yeux le souffle de cet écrivain français de 38 ans. Dans Les souvenirs (Gallimard, 2011), qui raconte la fin de vie des grands-parents d'un jeune auteur en herbe, Foenkinos a l'idée de digressions ingénieuses pour rappeler différents souvenirs de personnages ou de figures historiques. Malheureusement, il se complaît un peu trop dans la formule, et la seconde partie du récit, consacrée sans conviction à une histoire d'amour désincarnée, est nettement plus faible que la première.

On devine dans ce dixième roman de David Foenkinos, à la fois grave et léger, les mécanismes efficaces de l'écriture cinématographique. Et l'on ne s'étonne pas que l'auteur ait lui-même adapté pour le grand écran, et coréalisé avec son frère Stéphane, La délicatesse (avec Audrey Tautou), son roman à succès, vendu à plus d'un million d'exemplaires.

Russell Banks s'est inspiré d'un fait troublant pour son roman Lost Memory of Skin (Lointain souvenir de la peau, Actes Sud/Leméac, 2011). Sous un viaduc floridien sont contraints de vivre, dans des conditions insalubres et dans des abris de fortune, tous les délinquants sexuels du comté. Ils portent des bracelets électroniques à la cheville, sont surveillés en permanence et ne doivent pas s'approcher à moins de 800 mètres d'un lieu public où se trouvent des enfants.

Le Kid a 21 ans. Ses notions de sexualité se limitent à la pornographie qu'il a consommée maladivement sur l'internet. Il habite sous le viaduc depuis sa condamnation pour délinquance sexuelle. C'est là qu'il rencontre le Professeur, personnage énigmatique, au passé trouble, qui veut en savoir davantage sur ses conditions de vie. De leurs destins croisés, l'auteur de The Darling et The Sweet Hereafter tisse un roman social percutant, qui se lit pratiquement comme un polar politique, et pousse à la réflexion sur l'hypocrisie, notamment américaine, dans son rapport à la sexualité.

Je vous laisse à vos lectures d'été. Il y a Guerre et paix qui m'attend.

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