Le film commence dans un gymnase. Des adolescentes s'échinant sur des vélos stationnaires s'arrêtent net au passage d'Alexandre Despatie, le torse nu ruisselant de sueur. Elles geignent comme des brebis en rut, puis s'épongent avec des serviettes blanches. Sur les serviettes, un logo ostentatoire se dessine en gros plan : Super Écran.

Les serviettes, pliées par la jeune Gaby (Mélissa Desormeaux-Poulin), deviennent le prétexte à la prémisse de départ d'À vos marques... Party! premier «film pour ados» du cinéma québécois.

La belle Gaby joue un mauvais tour aux brebis en rut et se retrouve chez la directrice, une admiratrice d'Andrée Watters campée par Sylvie Moreau. Gros plan sur la tasse de café de la directrice, étampée, vous l'aurez deviné, du logo de Super Écran.

De deux choses l'une : ou bien Super Écran a récemment diversifié ses activités et fait l'acquisition d'une entreprise de serviettes de bain destinées aux écoles secondaires du Québec, ou bien À vos marques... Party! est l'exemple le moins subtil de placement de produits dans l'histoire du cinéma québécois. Si vous avez choisi la deuxième option : deux morceaux de robots.

Super Écran est le principal commanditaire d'À vos marques... Party!, premier long métrage de Frédérik D'Amours. Les producteurs Christian Larouche et Caroline Héroux, qui est également coscénariste, n'ont pas reçu d'aide de Téléfilm Canada ni de la SODEC pour financer ce film de 2,5 millions. Cela n'excuse pas le moindrement les plogues éhontées de ce feel-good movie pas trop mauvais et plutôt bien joué, calqué sur le modèle américain et destiné à un public de 13 à 13 ans et demi.

Super Écran n'est pas la seule entreprise à faire passer ce film au titre prophétique pour une pub interminable de deux heures. Il n'y a rien de subliminal dans le placement de produits peu crédible de cette bluette sentimentale qui, malgré tous ses défauts, devrait faire un tabac. Se succèdent les gros plans sur une bouteille de vinaigre Heinz, les croustilles Cheetos, le désinfectant Purell, le jus Dole et quoi encore. Ne manque que le sirop de poteau Aunt Jemima, tout concentré qu'il est dans la bande-sonore du film, pour qu'on ait l'impression d'être sur le plateau de L'épicerie.

Lorsque les étudiants se retrouvent après les classes, en soirée, en compagnie d'Alexandre Despatie (qui interprète l'athlète olympique Olivier Duclos), c'est dans un restaurant de fast-food archi connu, filmé de tous les angles afin qu'il n'y ait aucune méprise possible. Devinez lequel? Deux morceaux de robots si vous avez répondu McDonald's, le commanditaire principal de notre plongeur national. Subtil comme un éléphant qui fait la bombe de la tour de 10 mètres. Je n'avais qu'une seule envie en sortant du cinéma, et ce n'était pas de manger du McDo...

Le placement de produits existe depuis longtemps au Québec, en particulier à la télévision. À l'ère des enregistreurs numériques, c'est un phénomène en pleine croissance. Ce n'est sans doute pas un hasard si Lance et compte, pionnier en matière de placement de produits dans les téléséries québécoises - Pierre Lambert faisait le plein d'essence dans chaque épisode chez Ultramar - est aujourd'hui produit par Caroline Héroux, la fille du producteur du premier Lance et compte, Claude Héroux.

L'argument des producteurs pour faire avaler au consommateur-spectateur la pilule du placement de produits a toujours été le réalisme et la crédibilité de l'oeuvre adoptant cette stratégie publicitaire. Il est plus naturel de voir un personnage boire une bière d'une marque connue qu'une bière générique qui n'existe pas en réalité. Les producteurs d'À vos marques... Party! auraient pourtant du mal à faire la démonstration du réalisme plus engageant, pour un public de 13 ans, de serviettes commanditées par Super Écran.

On ne connaît pour l'instant que la pointe de l'iceberg du placement de produits au cinéma. À Hollywood, où il est souvent présenté de manière plus subtile grâce à des courtiers spécialisés (Davie Brown Entertainment, notamment), le placement de produits a envahi le grand écran. En 2005, la comédie jeune public Herbie Fully Loaded, avec Lindsay Lohan, comptait quelque 1000 placements de produits, selon le site spécialisé www.brandchannel.com.

«On nous demande maintenant d'écrire des dialogues exprès pour vendre des produits comme si cela faisait partie intégrante de l'histoire», se plaignaient les scénaristes de la Writers Guild of America dans un livre blanc publié l'hiver dernier.

Depuis que le petit Elliott a attiré la bibitte à la tête surdimensionnée nommée E.T. avec des Reese's Pieces, les investissements en placement de produits, tous médias confondus (télé, cinéma, jeux vidéo), sont passés de 512 millions de dollars à plus de 4 milliards aux États-Unis, selon le cabinet PQ Media. Un montant qui devrait encore doubler d'ici 2009.

Le placement de produits se fait par ailleurs plus agressif. Dans Casino Royale, le plus récent James Bond, l'agent 007 lui-même (incarné par Daniel Craig) vante les mérites de sa montre Omega, qui n'est pas une vulgaire Rolex comme le suppose l'agente Vesper Lynd (Bond a porté au cinéma une Rolex entre 1962 et 1969 ainsi qu'en 1989). Casino Royale, une production de MGM et Columbia, filiale de Sony Pictures, sert par ailleurs de vitrine publicitaire extraordinaire à une dizaine de nouveaux produits de la multinationale japonaise, du téléphone et de l'ordinateur portables aux écrans plats et appareils photos numériques dernier cri.

Et c'est parti...