J'ai beaucoup pensé aux Cahiers du cinéma en lisant Le dictionnaire snob du cinéma, un guide amusant, plein d'autodérision, sur le septième art. Les auteurs américains David Kamp et Lawrence Levi ont colligé dans ce «lexique indispensable de la connaissance filmologique» nombre d'expressions, genres, courants, concepts, et surtout, cinéastes et acteurs, prisés par les cinéphiles les plus snobs.

Le résultat est une sorte de bible des bonnes manières du «filmologue» moderne, qui indique au non-initié pourquoi il vaut mieux qu'il ait apprécié le dernier Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady) plutôt que le plus récent Bergman (trop convenu), s'il souhaite être admis dans le cercle sélect des «connaisseurs» du cinéma qui compte.

Kamp et Levi singent avec un humour caustique ce que Les Cahiers font souvent au premier degré, c'est-à-dire porter aux nues les cinéastes les plus radicaux et leurs oeuvres les plus difficiles - ou le contraire, pour ce qui est des Américains - en empruntant le ton de ceux qui «savent», par opposition à ceux qui «n'ont rien compris».

Les Cahiers peuvent à la fois saluer un court métrage rébarbatif de Catherine Breillat et une mégaproduction hollywoodienne de David Fincher (mais jamais un film de Denys Arcand). Une étoile dans Les Cahiers signifie «À voir à la rigueur». À la rigueur. Si vous avez fait le tour de votre DVDthèque? Si votre beau-frère insiste? Si le dernier Hou Hsiao-hsien affiche complet? On ne fait pas plus snob.

«Les Cahiers du cinéma bâtirent la réputation de réalisateurs américains sanguins comme Samuel Fuller, Don Siegel ou Nicholas Ray, en investissant dans leurs oeuvres des réflexions beaucoup plus poussées que celles de leurs propres créateurs. Ils furent également les complices de l'engouement français pour Jerry Lewis, en lui attribuant le titre de roi du crazy», écrivent les auteurs au sujet du «paradoxe américain» des Cahiers. La célèbre revue, estiment Kamp et Levi, est la meilleure raison de se moquer des intellectuels français. Ce n'est pas moi qui vais les contredire.

Le dictionnaire snob du cinéma, dont une traduction bancale vient de paraître en français aux Éditions Scali, s'intéresse un peu trop au cinéma américain à mon goût.

Mais il illustre des phénomènes qui ne connaissent pas de frontières: l'amour démesuré de certains cinéphiles pour les films de série B des années 70, les films d'arts martiaux de Johnny To et de Takashi Miike, les comédies musicales de Bollywood et le cinéma de David Cronenberg.

Son abécédaire comprend à la fois le pape du cinéma d'horreur italien Dario Argento et l'acteur de la Nouvelle Vague Jean-Pierre Léaud (des incontournables du registre snob). Mais pas les idoles internationales de la cinéphilie snobinarde que sont Takeshi Kitano («Beat» pour les intimes), Mathieu Amalric, Kim Ki-duk ou encore Carlos Reygadas. Si vous pensiez y trouver Claude Lelouch, ce dictionnaire n'est décidément pas pour vous...

Le mirage mexicain

Le cinéma d'auteur mexicain a le vent en poupe. L'an dernier, El laberinto del Fauno de Guillermo Del Toro, Babel d'Alejandro Gonzalez Inarritu et El Violín de Francisco Vargas ont soufflé une brise de fraîcheur sur le Festival de Cannes. Quelques mois plus tard, Children of Men d'Alfonso Cuaron provoquait le même effet sur la Mostra de Venise.

Le mois dernier sur la Croisette, Carlos Reygadas confirmait sa place parmi les auteurs les plus singuliers de son époque avec un troisième long métrage, Luz silenciosa, sacré Prix du jury.

Les succès successifs d'Amores Perros (Inarritu; 2000), Y tu mama tambien (Cuaron; 2001) et Japon (Reygadas; 2002) laissaient présager en début de décennie un ouragan mexicain qui ne s'est pas essoufflé. Aujourd'hui, la cote d'amour des cinéphiles pour le cinéma méxicano est à son sommet. Mais derrière l'écran (de fumée) se cache une réalité plutôt désespérante, comme le révèle ma collègue Annabelle Nicoud (voir son dossier en page 2).

La plupart des films des cinéastes mexicains les plus célébrés ne sont pas mexicains (mais produits par des studios américains), le cinéma mexicain n'est pas protégé sur son propre territoire, sa production est peu encouragée, sa distribution anémique (la moitié des films qui ont été produits l'an dernier ne prendront pas l'affiche), si bien qu'environ 90% des écrans sont occupés par des blockbusters hollywoodiens.

Les réalisateurs mexicains sont contraints, à l'instar de plusieurs de leurs compatriotes, à migrer vers le Nord, afin de pouvoir travailler.«Nous sommes des migrants de luxe», a déclaré Alejandro Gonzalez Inarritu à propos de cet exode des talents qui n'augure rien de bon pour l'avenir de la culture mexicaine.

L'inspirant (quoiqu'un peu confus) El Violín, qui prenait l'affiche hier au Québec, tient lieu d'exception confirmant la règle dans ce contexte. Distribuée au Mexique par Canana Filmes, la maison fondée par Gael Garcia Bernal et Diego Luna (les vedettes d'Y tu mama tambien), la fiction politique de Francisco Vargas, tournée au Mexique pour un million de dollars, passionne les Mexicains et caracole au box-office. On souhaite pour les prochains Inarritu, Reygadas et Cuaron que les décideurs mexicains sauront en tirer les bonnes leçons.