«Est-ce que Gandalf meurt à la fin?» ai-je demandé tout haut cette semaine à mes collègues de la salle de rédaction. On venait d'apprendre que le dernier tome de la série des Harry Potter, Harry Potter et la fin des zaricots, avait été livré prématurément en pâture par quelque webmestre aux centaines de millions de «pottermaniaques» de la planète.

Commençons par un aveu: je ne fais pas davantage la différence entre Poudlard et un poulet au lard qu'entre Le seigneur des agneaux et Harry Potter et le prisonnier d'Alcatraz. Je n'ai jamais lu J.R.R. Rowling et je n'ai vu qu'un seul film du jeune Potteux, le premier, un jour de pluie dans une ville peu hospitalière du Costa Rica. Malgré mon espagnol plus que rudimentaire, j'ai compris l'essentiel de ce récit inutilement complexe. D'un côté les bons, de l'autre les méchants. À la fin, les bons ont raison des méchants. Hollywood est vraiment fantastique.

Je ne connais rien ou presque de l'univers de Harry Potter (est-il un enfant illégitime de Beatrix et d'Aleister Crowley?) et pourtant, mercredi, lorsque j'ai appris qu'un journaliste du Toronto Star avait livré les secrets les plus sacrés de la pottersecte - l'équivalent de la découverte du Graal par soeur Angèle ou du secret de la Caramilk par Réal Giguère -, j'ai eu un réel moment d'empathie pour ma collègue Sonia Sarfati, la grande soeur des harrykiri et autres potterplégiques du Québec.

En lisant le papier de ce journaliste peu scrupuleux, j'ai regretté d'avoir demandé, avec une pointe d'ironie, si Gandalf - que je confonds avec le professeur Doublebeigne - avait perdu son combat avec la Grande Faucheuse. Une précision avant de poursuivre: Gandalf ne meurt pas à la fin de Harry Potter et l'Ordre du temple solaire. Gandalf, pour ainsi dire, n'a rien à voir avec Harry Potter. En revanche, certains personnages adorés des «moldus» de Harry Potter passent l'arme à gauche dans le tome sept, Harry Potter et le pirate informatique.

Mon confrère torontois, sous prétexte que l'information circulait déjà sur le web, n'a pas hésité à dévoiler l'identité des trépassés. Ne comptez pas sur moi pour répéter leurs noms (je ne les ai, du reste, pas retenus). Je ris de bon coeur de la ferveur quasi ecclésiastique des apôtres de Potter (les adultes surtout), mais quand il est question de gâcher le plaisir des uns et des autres, je ne ris plus du tout. Le plaisir, c'est mon credo, ma Magna Carta.

Que le pape Benoît XVI ait affirmé que les romans de la série Harry Potter, par «une séduction subtile qui agit sans qu'on n'y prenne garde», pouvaient «déformer profondément le caractère chrétien de l'âme, avant qu'elle ne puisse s'épanouir correctement» est une chose. Dévoiler sciemment avant l'heure le punch d'une série culte à des fans qui l'attendent depuis dix ans en est une autre.

Je déteste qu'on me vende la mèche, même à bas prix. Personne n'aime savoir le score avant d'avoir vu la game. Ça tue le suspense. Je vous parlais en début de semaine de la couverture lamentable réservée par Radio-Canada à la Coupe du monde de soccer U-20. Mercredi, alors que le «réseau officiel» du Mondial s'apprêtait à diffuser sa quatrième rencontre depuis le début du tournoi (la CBC en a retransmis 44), en différé à 23h, la lectrice de nouvelles du Téléjournal nous a informés à 22h57 de la marque finale du match Autriche-République tchèque. Une belle façon d'encourager les téléspectateurs à rester à l'antenne...

Aussi, je déteste lorsque les critiques de cinéma brûlent les punchs des films. J'ai remarqué que c'était souvent le lot de critiques aguerris, qui ne prêtaient plus tant d'attention au fond qu'à la forme. Il reste qu'il est plus difficile d'apprécier un thriller dont on connaît déjà le dénouement. «On ne veut pas le savwouère, on veut le vwouère», comme disait l'autre. Malheureusement, comme le répétait aussi feu son confrère au chapeau troué, il y a souvent de la fuite dans les idées.

Dans le jargon du cinéma (et de la télé), c'est ce qu'on appelle les «spoilers». Ils gâchent littéralement le plaisir. Malgré la prolifération de leur faux-frère, le «spoiler alert», censé nous avertir que nous lisons un texte à nos risques et périls, les «spoilers» font beaucoup de dommages depuis la démocratisation de ce que Jacques Parizeau appelait avec fierté «l'autoroute de l'information». Au détour d'une phrase, on apprend sans plus de préparation le décès, le mariage, la disparition mystérieuse d'un être (fictif) cher. C'est comme lire les pages nécrologiques quand on a 90 ans.

Avec un certain cynisme, sans doute conscient que l'ère virtuelle rend le phénomène inévitable, un blogueur français de 36 ans, Eric Culnaert, a décidé de consacrer son temps à répertorier les fins de films. Sur son blogue www.la-fin-du-film.com, il dévoile une centaine de fins de films.

Il a le mérite d'afficher ses couleurs. Son site de «spoilers», qui s'ouvre avec un avis explicite des dangers encourus à poursuivre la lecture, s'adresse spécifiquement à ceux qui «ont raté les cinq dernières minutes» d'un film. Une façon, dit-il, de se tenir au courant de l'actualité cinématographique à peu de coûts.

Sur son blogue, Culnaert classe assez drôlement les épilogues de films par catégories. «Et à la fin»... «il gagne», «il meurt», «il sauve le monde», «c'est plus ou moins la fin du monde», «ils finissent par baiser», etc. Ce cinéphile couvre ainsi l'essentiel de l'éventail du cinéma hollywoodien, même s'il s'intéresse à tous les types de cinémas (il dévoile ces jours-ci les fins du film danois Adam's Apples et de Manufacturing Dissent, le documentaire sur Michael Moore). «Pour les petits futés qui voudraient juste lire un bout et pas la fin de la fin, on a même prévu des images pour signaler quand le héros meurt et ce genre de trucs», précise-t-il.

À qui cela peut bien servir, dites-vous? J'en connais une, très bien même, qui est IN-CA-PA-BLE de rester éveillée jusqu'à la fin d'un film. Elle me demande systématiquement de lui raconter ce qui s'est passé dans la dernière demi-heure. La prochaine fois, je saurais quoi lui répondre. Chérie, va voir sur le net.