Quand nous l'avons rencontré l'automne dernier à Copenhague, Lars von Trier nous avait dit de ne pas nous inquiéter pour lui. Quelques mois plus tard, à la veille de la sortie montréalaise de son plus récent film, Le directeur (The Boss of it All), la situation n'est plus du tout la même.

Pour les cinéphiles du monde entier, les nouvelles qui leur sont parvenues à propos de Lars von Trier au cours des derniers mois ont été préoccupantes. D'abord, le célèbre cinéaste danois a dû être hospitalisé pour une dépression nerveuse en décembre 2006. Puis, il y a deux mois, il confiait au quotidien danois Politiken se sentir «complètement vide». Il disait souffrir en outre d'une crise artistique en apparence tellement insurmontable qu'il songeait carrément à interrompre sa carrière cinématographique.

«Après cette crise, je suis comme une page blanche, avait-il alors déclaré. Ça me fait bizarre parce que j'ai toujours eu au moins trois projets en tête en même temps. Normalement, Antichrist devrait être mon prochain film. Mais là, je ne sais plus rien.»

Crise existentielle après avoir franchi le cap de la cinquantaine ? Crise artistique découlant d'un vrai désir de faire les choses «autrement», sur des bases plus modestes ? Fatigue ? Nul ne sait. Pas même lui. Le cinéaste aurait été d'autant plus décontenancé par cette dépression qu'il avait toujours l'habitude, jusque-là, de nourrir sa création de ses angoisses. En septembre dernier, von Trier confiait d'ailleurs ceci à La Presse :

«Si on dit que la création naît de la douleur, ne vous inquiétez surtout pas. Il y a en moi assez d'angoisses et de souffrances pour nourrir au moins 100 autres films !»

Des signes encourageants

S'il est encore fragile, le cinéaste a quand même montré récemment quelques signes plus encourageants. Il a notamment signé Occupations, l'un des segments les plus appréciés de Chacun son cinéma, ce long métrage collectif commandé par Gilles Jacob à l'occasion du 60e anniversaire du Festival de Cannes. Une trentaine des plus grands cinéastes du monde, rappelez-vous, ont eu le mandat de réaliser un film de trois minutes avec, pour seul thème, «la salle de cinéma». Von Trier a choisi de se mettre lui-même en scène, simple spectateur pris en otage par un insupportable voisin de fauteuil qui ne peut faire autrement que de lui raconter sa vie. Sans révéler la chute, disons que la façon toute «von trierienne» avec laquelle il règle le cas du monsieur a suscité des applaudissements nourris de la part des festivaliers. Espérons que les manitous de nos festivals de cinéma locaux puissent un jour mettre la main là-dessus.

Une interview publiée il y a moins de deux semaines dans le quotidien belge Le Soir laisse croire que le cinéaste est en train de remonter la pente tranquillement.

«Aujourd'hui, des sensations sont en train de revenir, a confié von Trier au journaliste Nicolas Crousse. Très lentement, mais c'est déjà quelque chose. Je n'ai toujours pas retrouvé l'énergie, mais l'aspect dépressif est parti.»

Mercredi, l'assistante de Lars von Trier, Katrine Acheche Sahlstrom, confirmait à La Presse l'amélioration de la condition du cinéaste. «La dépression est maintenant chose du passé, a-t-elle déclaré. Il travaille présentement sur Antichrist. Ce sera son prochain film.»

Une première comédie

Ironie du sort, cette grave crise personnelle est survenue au moment même où le réalisateur de Breaking the Waves proposait Le directeur (The Boss of it All), sa première franch comédie.

Car au lieu de se lancer dans le troisième volet de sa trilogie américaine amorcée avec Dogville, von Trier a préféré se «revitaliser» en élaborant une comédie légère tournée en danois. " Le directeur, disait-il l'automne dernier, c'est un peu une récréation. "

Après des productions exigeantes comme Dancer in the Dark (Palme d'or à Cannes en 2000), Dogville et Manderlay, le cinéaste a en effet ressenti le besoin de prendre une pause, histoire de retrouver le sens du plaisir simple.

«Pour Le directeur, je me suis beaucoup inspiré des comédies américaines des années 30 et 40, particulièrement celles qui mettaient en vedette Katherine Hepburn, Spencer Tracy et Cary Grant. Tout cela s'est fait dans le plaisir, sans prétention. Et je compte bien désormais emprunter cette approche.»

Quant à Antichrist, il s'agit d'un film d'horreur, tourné en anglais, dont le postulat de départ tient du fait que le monde n'aurait pas été créé par Dieu mais plutôt par Satan.

Dépression ou pas, le goût de la provocation semble être toujours bien présent. Tant mieux.

Le directeur (The Boss of it All) prend l'affiche le 13 juillet.