Son cousin avait vu Ratatouille. Alors, forcément, lui aussi voulait savoir de quoi il en ratatouillait. «Papaaa, je veux voir Ratatouille!» Je suis passé plus tôt que prévu à la garderie. «Aujourd'hui, on va au cinéma!» lui ai-je annoncé devant ses amis. Son visage s'est illuminé. Il a relevé le menton, m'a fixé d'un regard oblique, manière de dire: «Les copains, voici MON papa!»

Je lui aurais dit: «On va décrocher les lumières blanches du Spectrum!» ou «On va regarder pousser le gazon synthétique du Stade olympique!» que la réaction aurait été la même. L'enthousiasme poétique de la découverte, teinté de l'appréhension de l'inconnu.

«C'est quoi papa, le cinéma?» m'a-t-il demandé une fois dans la voiture. C'est comme la télé, mais en plus gros et en plus plat (ce dont rêve secrètement papa pour la maison). «Pourquoi on ne regarde pas Ratatouille à la télé, alors?» J'ai eu envie de lui répondre: «Tu sais mon chéri, Montréal a beau être la soi-disant capitale mondiale du piratage de film - une grossière exagération -, papa préférera toujours voir un film au cinéma qu'à la télé.» J'ai plutôt répondu: «Parce que», ce que je réponds, du reste, chaque fois que l'une de ses questions m'embête.

«C'est quoi un film, papa?» Je n'allais pas m'en sortir facilement. Un film, c'est comme un épisode de Passe-Partout en plus long, sans chansons et sans noeud papillon. «Alors, je n'aime pas les films!» Le jugement était sans appel. J'aurais pu rebrousser chemin, retourner à la maison, le brancher sur Ilsa l'exploratrice ou Dora la louve des SS et préparer une ratatouille pour le souper. J'ai gardé le cap. «Tu vas aimer ça...»

En prononçant la phrase, j'ai réalisé à quel point j'allais au cinéma avec mon fils autant, sinon davantage, pour mon propre plaisir que le sien. Je m'y rendais sans le moindre doute, convaincu qu'il partagerait illico ma passion pour la salle noire, l'image surdimensionnée, le son THX. Une fois sur place, j'en étais sûr, il succomberait comme moi jadis devant Rox et Rouky, à la magie de Disney, de Pixar ou je ne sais trop qui.

Avant qu'il n'ait eu l'occasion de douter une fois de plus du bien-fondé de notre excursion, j'ai garé l'auto dans le sous-sol d'un giga complexe de divertissement pour préadolescents. Au contact des lumières stroboscopiques, du tintamarre des autos tamponneuses et autres jeux assourdissants, il s'est braqué. «Noooon, papa, je n'aime pas les films!» Je l'ai pris dans mes bras. Il s'est agrippé à mon cou. Nous avons traversé la jungle de machines à boules aux effluves de pop-corn extra jet de beurre, gravi l'escalier et trouvé la salle 18 (ou 28).

J'ai ouvert la porte. Le film était commencé. «Nooooon! Je ne veuuuuuux paaaaaaas!» Il s'était furieusement cramponné à moi, comme si je m'apprêtais à l'offrir en pâture à une meute de loups affamés. J'ai compris que c'était trop fort, trop grand, trop brusque (et j'ai pensé que si nous avions un écran plasma de 50 pouces à la maison plutôt qu'une télé ordinaire, la transition aurait été moins brutale. J'ai aussitôt résolu d'en parler à mon épouse).

Je refusais d'avouer l'échec. Je lui ai proposé une promenade dans le couloir, espérant qu'il s'acclimate à l'obscurité, au bruit des autos tamponneuses, aux effluves de pop-corn extra jet de beurre. Moi-même, depuis le temps, je ne m'y suis jamais fait. J'exècre les giga complexes de divertissement pour préadolescents. Longue vie au cinéma du Parc.

Dans les 24 (ou 42) autres salles, il n'y avait pas un seul film que je jugeais digne d'intérêt. Nous sommes retournés à la salle 18 (ou 28). J'ai rouvert la porte. «Noooon!» Regarde mon chéri, c'est Ratatouille! «Je préfère regarder l'image...» Il s'était posé en retrait, à quelques mètres, tétanisé, fixant obstinément l'affiche du film. J'ai laissé la porte ouverte. Viens voir, c'est Ratatouille! Il s'est avancé à petits pas, a étiré le cou. Si tu t'approches, tu vas mieux voir. Il m'a dit non pour la forme - un enfant de 3 ans a son orgueil - puis il a franchi le seuil, déchiré entre la peur et l'émerveillement.

Empressé, j'ai refermé la porte derrière nous. Il s'est senti piégé, m'a regardé d'un oeil torve puis est sorti. J'ai eu l'impression d'être le Petit Prince devant son foutu renard. Patient, précautionneux, j'ai relancé ma petite bête farouche. Ouvre la porte, attire la bibitte, referme la porte. Le manège a duré 20 minutes. Au final, j'avais apprivoisé mon renard. Happé par l'image, subjugué par la musique, il m'a suivi dans la pénombre, comme un somnambule guidé par ses instincts, jusqu'à son siège. La magie de Disney, de Pixar, du septième art quoi, avait fini par opérer.

«Papa, est-ce que je peux avoir un bobcicle?» Quinze minutes s'étaient écoulées. «Papa, est-ce qu'on va aller voir maman?» Une demi-heure. Il gigotait sur son siège, commentait l'action. «Papaaa, Ratatouille a mangé un fromage. C'est drôôôle!» «Il ne faut pas parler trop fort», lui ai-je chuchoté. «C'est comme à la bilothèque?» a-t-il répondu sur le même ton. Pareil qu'à la bilothèque.

Nous sommes restés jusqu'à la fin. Du scénario, il n'a sans doute rien retenu. Sinon que Ratatouille (Rémy de son vrai nom) fait la cuisine comme papa. Mais ses yeux brillants trahissaient l'émerveillement. Depuis, il se vante comme d'un exploit d'avoir vu Ratatouille. À sa mère, à sa mamie, à son cousin, à ses copains. J'y étais moi, j'ai vu. Veni vidi vici. En sortant, il s'est retourné vers moi: «Papa, demain est-ce qu'on peut aller voir Bart?» Quand tu veux mon chéri.