Je ne suis pas un critique de cinéma très original. Ce n'est pas de la fausse modestie. Je m'accorde d'ordinaire avec la plupart des autres critiques. Sans qu'il y ait eu connivence. Tenez par exemple la critique qu'a faite ma collègue Sonia Sarfati du plus récent Milos Forman, Goya's Ghosts. Je ne l'ai pas encore lue (elle est publiée dans ce cahier). Et pourtant, je suis convaincu que j'aurais écrit sensiblement la même chose.

 

Je n'ai pas un point de vue extraordinaire sur le cinéma. Les films que je préfère dans les festivals remportent souvent des prix. Je suis le plus moyen des critiques. Je serais un juré moyen. Il n'y a qu'avec le public moyen que je ne m'entends pas toujours. Ce n'est pas du mépris. Tel est le destin du critique.

Or, quand l'Association des critiques de cinéma du Québec (ainsi que celle de Toronto) a choisi A History of Violence comme son meilleur film de 2005, je me suis posé de sérieuses questions sur mon orientation cinématographique. Je suis d'accord qu'on ne peut pas toujours être d'accord avec le choix d'autrui. Mais le meilleur film, vraiment?


J'ai vu A History of Violence à Cannes il y a deux ans. Je m'en souviens très bien. C'était dans une petite salle à l'écart de la Croisette, en fin de soirée. J'avais ri tout le long de la projection, tellement j'avais trouvé ridicule la caricature proposée par David Cronenberg. La barbiche de William Hurt à elle seule m'avait fait plier en deux, comme toute cette violence exagérée, cette trame sonore affligeante et ces dialogues tellement faux que j'étais convaincu que la presse internationale au grand complet lapiderait cette farce grotesque.

Le lendemain matin, au moment d'interviewer Cronenberg et son acteur Viggo Mortensen, j'ai dû me rendre à l'évidence. La presse internationale avait adoré A History of Violence. Mes confrères avaient trouvé la violence du film sordide mais poétique. Son propos, d'une grande acuité philosophique. Jamais je ne m'était senti aussi largué par la critique.

En m'interrogeant depuis sur mon désamour vis-à-vis de l'oeuvre de Cronenberg, je crois avoir compris que je n'y comprenais rien et n'y comprendrais jamais rien. Ce que je reproche à Cronenberg tient surtout au fait que je l'attends toujours ailleurs, sans raison particulière ni valable. Il reste profondément marqué par son passé de cinéaste de genre. Ce n'est pas mon genre. Il fait dans la caricature. Je préfère le réalisme. Son hyperviolence me fait l'effet d'une comédie burlesque. Je ne suis pas convaincu que ce soit l'intention voulue.

«Pour qu'on ait l'impression qu'elle est réelle, la violence doit être explicite, physique, horrible», m'avait dit Cronenberg à l'époque, sans me convaincre, ni de son propos, ni de la crédibilité de la violence qu'il met en scène. À vrai dire, en voyant A History of Violence, je m'étais demandé si le cinéaste n'avait pas fait exprès pour que son film soit si mauvais. Et si les critiques trouvaient son film bon parce que, justement, il était si mauvais.

Puis cette semaine, j'ai vu le Cronenberg nouveau, Eastern Promises (à l'affiche la semaine prochaine), toujours avec Viggo Mortensen, cette fois dans le rôle d'un expatrié russe à Londres, acoquiné à la mafia. C'est violent - en particulier à l'occasion d'une scène de bagarre d'anthologie dans un sauna -, il y a du sexe tordu comme dans la plupart des films de Cronenberg et on frôle souvent la caricature (Vincent Cassel en mafieux russe, il faut le voir pour le croire). Eastern Promises ne tranche pas avec A History of Violence. Et pourtant - vous me voyez venir - j'ai beaucoup aimé. Davantage que Crash ou Naked Lunch, et bien plus que The Fly ou eXistenz. Je crois ne pas avoir autant apprécié un Cronenberg depuis Dead Ringers. Pour être bien franc, je ne comprends plus rien.

Les couacs du FFM

Quelques lecteurs m'ont reproché d'avoir parlé trop rapidement de «renaissance» du Festival des films du monde dans ma chronique de la semaine dernière. «Il y a encore moins de festivaliers qu'au cours des deux dernières années», me dit une festivalière de longue date, qui a assisté à des projections tous les jours, dans des salles souvent à moitié vides. «On offre encore gratuitement un grand nombre de billets qui n'ont pas été vendus», me confirme une source bien informée. Le public est vieillissant, le festival ne renouvelle pas du tout sa clientèle, ont constaté la plupart de ceux qui, comme moi, ont surtout vu des têtes grises devant l'Impérial. Les présentations galas de certains films au théâtre Maisonneuve ont eu lieu devant des salles presque vides, en présence de cinéastes médusés par le peu d'intérêt affiché pour leur travail. «La programmation fait toujours franchement pitié, il y a de gros problèmes techniques, les projections sont déficientes, les gens gueulent à la billetterie», me confie un ami qui a vu une partie d'un film en accéléré parce qu'il était projeté en DVD et que la copie était défectueuse. N'empêche que le Festival existe toujours, qu'il a plus d'appuis qu'au cours des dernières années (tant de la part de l'industrie que des institutions), qu'il a réussi à attirer au moins deux ou trois invités et quelques films dignes d'intérêt. Assez pour que je persiste et signe: ce pauvre festival, même s'il n'a pas d'avenir, va mieux qu'il y a deux ans. En autant qu'être vivant reste mieux que d'être mort.