À Toronto, le premier samedi du festival est un jour un peu plus fébrile que les autres. Toujours. C’est en effet ce jour-là qu’est dévoilé, un océan et des milliers de kilomètres plus loin, le palmarès du Festival de Venise. Or, plusieurs des artisans qui ont présenté un film en compétition à la Mostra se trouvent présentement dans la Ville reine, histoire d’accompagner leur nouveau-né dans leur deuxième sortie dans le monde.

Comme il l’avait fait il y a deux ans, alors que Brokeback Mountain avait obtenu le Lion d’or, le cinéaste Ang Lee a dû quitter Toronto in extremis pour retourner à Venise. Lust, Caution, son nouveau film, a en effet reçu hier l’honneur suprême de la manifestation vénitienne (voir autre texte en page 6 du cahier Expresso).

Adapté d’une nouvelle écrite par la romancière Eileen Chang, Lust, Caution est un film d’espionnage somptueux dont l’intrigue se déroule pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que des forces japonaises occupent la Chine. À l’élégance de la mise en scène et au jeu remarquable des deux interprètes principaux (Tony Leung et Tang Wei, une nouvelle venue stupéfiante), s’ajoute cette fois un rapport très franc avec le sexe. Jamais Ang Lee n’avait en tout cas confronté cette question de façon aussi directe. «Cela n’a pas été facile, croyez-moi, confiait d’ailleurs à La Presse cet homme foncièrement pudique. Mais il était essentiel d’illustrer l’exultation des corps pour comprendre la nature déchirante de cette histoire d’amour.»

 


Brad Pitt le désinvolte

Brad Pitt, qui a lui aussi obtenu hier une récompense à Venise (le prix d’interprétation masculine), a préféré honorer ses engagements torontois plutôt que de retourner sur la lagune. C’était hier, en effet, qu’avait lieu la première nord-américaine de The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, un événement médiatique fort au milieu d’une journée marquée aussi par les passages de Michael Moore (Captain Mike Across America porte sur la campagne électorale présidentielle de 2004), Naomi Watts (Eastern Promises), Javier Bardem (No Country for Old Men), sans oublier celui de George Clooney, venu à Toronto afin d’accompagner la présentation de Michael Clayton, une première réalisation signée Tony Gilroy.

Grand ami de Pitt, l’acteur s’est évidemment un peu amusé aux dépens de celui qui allait lui succéder quelques minutes plus tard à la table des conférences de presse. Clooney a en outre déclaré que les acteurs avaient en général beaucoup plus de maîtrise sur leur carrière aujourd’hui; qu’ils pouvaient aussi jouer de leur notoriété en s’effaçant derrière un personnage. «Ce qui n’était pas nécessairement le cas de nos aînés. Évidemment, je parle ici de vrais acteurs. Pas ces vedettes qui ne font rien et dont l’unique talent est d’être célèbre. Comme Brad Pitt par exemple!»

Coiffé d’une casquette et portant un veston blanc, l’interprète de Jesse James, Brad Pitt lui-même, affichait sa désinvolture habituelle. Quand il fut questionné sur les aléas du métier à une époque où la culture est beaucoup axée sur le vedettariat, monsieur Pitt a fait un lien avec le personnage à qui il prête ses traits. «J’ai été très surpris de découvrir que les tabloïds existaient à l’époque de Jesse James, a-t-il dit. D’une certaine façon, il devait aussi gérer son image!»

Western lent dont les images sont admirablement composées, The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford s’ancre dans les racines profondes de la culture américaine. Réalisé avec brio par le cinéaste d’origine néo-zélandaise Andrew Dominick (Chopper), ce film met en outre en valeur d’excellentes prestations d’acteurs: celle de Pitt, bien sûr, mais aussi celle de Casey Affleck, remarquable dans la peau de celui qui scellera le destin tragique du héros.

«C’est très agréable de recevoir une récompense et j’en suis honoré, a déclaré Pitt. D’autant plus que ce film a mis du temps à voir le jour. Mais cela n’est pas une fin en soi. En tout cas, ce n’est pas le but de mon travail.»

Une scène d’anthologie

L’une des scènes d’Eastern Promises, le nouveau film de David Cronenberg, fait beaucoup jaser les festivaliers. Pendant de longues minutes, on y voit Viggo Mortensen, flambant nu, lutter dans un sauna contre deux tueurs qui ont juré d’avoir sa peau. La scène est forte, féroce, ultra violente, et provoque chez le spectateur la sensation d’avoir carrément mangé les coups lui-même. «Une scène de combat à la Bourne Ultimatum, expliquait hier Cronenberg, c’est de la pure fantaisie. Et cela ne ressemble pas à ce que je fais. Le but de la violence, c’est la destruction du corps humain. À cet égard, il m’importe d’explorer le phénomène de façon la plus réaliste possible.»

Quand Cronenberg s’y met, on ne peut faire autrement que de détourner le regard.