J'en veux un peu à François Girard. Oh, rien de grave, rassurez-vous. François est un être exquis, un homme doté d'une redoutable intelligence, un artiste dont la démarche témoigne d'une véritable réflexion.

Lorsque j'ai rencontré Keira Knightley il y a quelques jours à Toronto, l'actrice anglaise ne cessait d'ailleurs de louanger - avec raison - les qualités humaines du cinéaste québécois. Elle vantait aussi son talent fou. «En plus, François est d'un calme olympien!» a-t-elle ajouté.

En fait, j'en veux un peu à Girard parce qu'il a tourné Soie en anglais. Bien sûr, le contexte de production étant ce qu'il est, je trouve parfaitement normal que le cinéaste ait opté pour la langue de Shakespeare. Il le fallait pour qu'il ait les coudées franches sur le plan financier. Et pour qu'il obtienne, par la même occasion, l'entière liberté sur le plan créatif. Je comprends tout cela. N'empêche qu'en tant que francophone, je tique toujours un peu, malgré moi, quand les personnages français d'une histoire qui se déroule en France conversent en anglais.

À Tout le monde en parle, le cinéaste expliquait dimanche dernier qu'il est très difficile pour les productions québécoises de s'imposer sur le marché international, car le territoire francophone, ironiquement, leur est pratiquement fermé dès le départ. À cet égard, Girard voit très juste. À part quelques rares exceptions (La grande séduction, C.R.A.Z.Y. ou les films de Denys Arcand), la France, la Belgique et la Suisse balaient habituellement les films québécois du revers de la main.

S'il avait tenu à faire Soie en français, Girard aurait alors carrément dû en faire une vraie production française. Et faire appel à des acteurs issus de l'Hexagone. Comme l'a fait Julian Schnabel avec Le scaphandre et le papillon. Bon, d'accord, il y a aussi Marie-Josée Croze dans ce film-là. Mais contrairement à la plupart de ses compatriotes, qui débarquent en France pour se servir du pays comme simple décor, le cinéaste peintre américain a choisi de faire un film foncièrement français. «Pour moi, expliquait-il plus tôt cette année au Festival de Cannes, il était impensable de tourner l'adaptation du récit autobiographique de Jean-Dominique Bauby ailleurs. Je tenais à ce que cette histoire conserve sa sensibilité très française. Il n'était pas question d'élaborer ce film dans une autre langue avec des acteurs anglo-saxons. Cela aurait été tout simplement ridicule!»

Peut-être. Mais Schnabel est à peu près le seul à tenir ce genre de discours. D'autant que le cas de figure inverse est aussi vrai. À ce que je sache, personne n'a fait un cas du fait que Pascale Ferran ait tourné son sublime Lady Chatterley dans le Limousin avec des acteurs français qui s'expriment dans la langue de Molière...

Tout bien réfléchi, ce n'est pas tant le fait que Soie ait été tourné en anglais qui m'embête. Non. C'est plutôt ce choix d'avoir confié le rôle principal à Michael Pitt, le «Kurt Cobain» de Gus van Sant. Le jeune acteur américain, révélé notamment par The Dreamers de Bertolucci, ne parvient jamais à faire écho au bouleversement intime de son personnage. Question d'attitude, de présence. Une approche trop «Nouveau Monde» qui ne sied pas à ce personnage du XIXe siècle, issu d'une société encore très hiérarchisée. Ce choix m'a d'autant plus étonné que Girard avait déclaré, au cours d'une interview qu'il m'avait accordée au lendemain de l'annonce du financement du film par Téléfilm Canada il y a deux ans, tenir à ce que l'interprète d'Hervé Joncour «puisse faire écho à un esprit européen». L'acteur pressenti alors était d'ailleurs britannique. Le cinéaste espérait en outre que ce dernier donne son accord dans les jours qui ont suivi notre entretien. Visiblement, cette entente n'a jamais été conclue. Dommage pour lui, dommage pour nous. Parce que Soie, qui est passé à un fil d'être le beau et grand film espéré, souffre grandement de cette erreur de casting. Je vous reparle du film plus en détails demain.

Adieu Lola

De retour de mes virées festivalières, j'ai appris une nouvelle d'une infinie tristesse. Il est de ces morts qui, pour tout dire, sont tout simplement inqualifiables. Marie-Claude Dionne, dite Lola, qui fut notamment recherchiste pour de nombreuses émissions culturelles à la télé, est disparue dans la fleur de l'âge, fauchée par une foudroyante maladie. Arthur n'a plus sa maman; l'ami Pierre, pour qui j'ai aujourd'hui une pensée émue, pleure son amoureuse; le milieu artistique perd une précieuse alliée; et le monde, une femme d'exception. C'est vraiment trop injuste.