Savez-vous quel est le sujet qui meuble principalement les conversations dans le milieu du cinéma américain présentement? La déchéance de Britney? Les boires et déboires de Kiefer Sutherland? La virée lamentable des Boys à la télé? Les nouvelles paternités de Nick Nolte et de Claude Dubois? La bataille du dimanche soir au Québec? Pas le moins du monde. À Los Angeles, une ville dont l'économie tourne presque entièrement autour du show business, on s'inquiète plutôt des répercussions que pourrait avoir une grève des scénaristes si celle-ci devait être déclenchée.

Jusqu'à la semaine dernière, Hollywood se préparait à faire face à un conflit qui ne devait s'annoncer que l'été prochain. Les conventions collectives des réalisateurs et des acteurs arrivant alors à échéance, les bonzes des studios présumaient en effet que les auteurs prendraient leur mal en patience. Et attendraient leurs camarades des autres associations professionnelles avant d'agir.

Mais voilà. Entre les producteurs regroupés dans l'Alliance of Motion Picture and Television Producers et les représentants de la Writers Guild Association, les négociations sont au plus mal. À tel point que les 12 000 scénaristes qui travaillent dans le milieu du cinéma et de la télévision aux États-Unis pourraient décider de remiser leur plume dès le 1er novembre, soit le lendemain de l'échéance de leur convention.

En clair, cela voudrait dire que, la matière première de l'industrie ayant disparu, le milieu serait soumis à une paralysie quasi généralisée si le conflit devait s'éterniser. Les sorties de certaines superproductions - dont le prochain James Bond - pourraient être décalées. À la télé, les réseaux devraient se rabattre sur des rediffusions, des épisodes originaux bâclés, ou des shows de téléréalité. Même si elle n'est pas encore assujettie aux règles de WGA, la question de la «téléréalité» constitue en outre l'un des points litigieux qui séparent les deux parties.

La dernière fois que les scénaristes américains sont descendus dans la rue, en 1988, il a fallu 22 semaines avant de conclure une nouvelle entente. Les pertes pour l'industrie ont été évaluées à 500 millions de dollars à l'époque. Autant dire des «pinottes» quand on jette un coup d'oeil sur les coûts astronomiques liés aujourd'hui à la production cinématographique et télévisuelle. Et les revenus qu'elle engendre.

Au coeur du litige, les nouvelles plateformes de diffusion (internet, téléchargements en tous genres, téléphones cellulaires, etc.), de même que les redevances sur les droits résiduels que les auteurs perçoivent quand leurs oeuvres sont rediffusées. À cet égard, les producteurs voudraient négocier une entente qui leur permettrait de verser des droits résiduels aux scénaristes seulement à partir du moment où les coûts de production et d'exploitation de l'oeuvre ont été épongés. Autrement dit, le paiement de redevances deviendrait ainsi pratiquement tributaire du succès populaire d'une oeuvre. À une époque où les revenus générés par l'industrie du divertissement atteignent des sommets jamais égalés, la pilule est dure à avaler. «C'est une vraie farce!» a lancé Terry George au cours d'une rencontre de presse tenue dimanche à New York à l'occasion de la sortie prochaine de Reservation Road, son nouveau film. Il convient d'ailleurs de rappeler que Terry George s'est d'abord imposé à Hollywood en tant que scénariste (In the Name of the Father) avant de réaliser aussi des films (Hotel Rwanda). Aujourd'hui, l'auteur cinéaste, qui fait lui-même partie du comité de négociation de la WGA, craint de voir s'envenimer le conflit. Lequel semble se diriger tout droit vers un cul-de-sac. Au revendications déjà mentionnées s'ajoutent, de la part des auteurs, une demande de redevances plus équitables sur les DVD, de même qu'une convention régissant les nouvelles plateformes. De leur côté, les producteurs refusent de s'engager sur ce terrain, estimant ces technologies encore trop nouvelles pour pouvoir établir des règles précises de paiement de redevances.

Bref, l'industrie est dans l'impasse depuis vendredi dernier. Une rencontre organisée un peu plus tôt cette semaine n'a pas du tout rapproché les parties. Le conflit est significatif car il brasse de nouveaux enjeux avec lesquels l'industrie doit désormais composer.

Pour contrer un peu le coup, certains studios ont récemment mis les bouchées doubles afin de faire le plein de productions originales. Les secteurs dévolus au développement de nouveaux scripts ont toutefois reçu ordre de cesser leurs activités. Selon le journal spécialisé Variety, les dirigeants de la WGA auraient de leur côté déjà établi les règles que devront suivre les membres de leur association s'ils entérinent un vote de grève la semaine prochaine.

À moins d'un revirement typiquement hollywoodien, le conflit semble imminent. Et il n'est pas question de happy end pour l'instant. Même pas pour James Bond.