J'ai découvert le cinéma d'auteur par hasard, dans la fleur de l'adolescence, en cherchant des scènes de cul dans des films européens. J'ai été servi par La femme publique de Zulawski, moins par Monsieur Hire de Patrice Leconte. Je me souviens avoir fait deux heures d'autobus de ma banlieue jusqu'au centre-ville, à 15 ans, pour découvrir L'insoutenable légèreté de l'être de Philip Kaufman. Question, disons, d'associer des images aux mots de Kundera...

J'ai conservé de ces jeux de l'amour et du hasard, glanés sur grand écran, une affection particulière pour le cinéma dit pointu, et pour les libertés qu'il permet, avec ou sans chapeau. On ne peut empêcher un coeur d'aimer, à 14 comme à 34 ans. Surtout lorsque l'objet de cette affection se nomme Juliette Binoche.

Lundi, j'ai vu deux films qui traitent de sexe de manières bien différentes. La capture de Carole Laure et Lust, Caution d'Ang Lee. Je ne vous ferai pas une étude comparative des deux films. Ils sont de deux planètes. Comme l'homme vient de Mars et la femme de Vénus (il n'y a pas de mont sur Mars), Ang Lee traite le sexe avec violence et impudeur, alors que Carole Laure l'interprète avec un onirisme romantique plutôt fleur bleue.

Le sexe de La capture, filmé avec force effets, en pleine forêt, m'a semblé aussi sensuel qu'une nature morte dans un musée de l'ex-URSS. Les ébats des amoureux, interprétés par Catherine de Léan et Francis Ducharme, pourtant jeunes et séduisants, m'ont paru lumineux, certes, mais mécaniques et sans conviction. Aussi peu crédibles que l'illustration d'un roman Harlequin ou les films soft porn de TQS. Sans la moindre urgence du désir. Un tableau fauviste sans la nuit fauve.

Certains critiques ont été séduits par la poésie de cette scène d'amour. J'ai plutôt trouvé que c'était du sexe de cul, poche au possible. Où mes confrères ont perçu la marque d'une vraie cinéaste, j'ai vu un maniérisme agaçant (pas agace). Tous les goûts sont dans la nature. Pour les scènes de baise dans les buissons, je préfère encore le sexe cru, vrai jusque dans les rougeurs de la gorge, de Bruno Dumont, ou la recherche du temps suspendu des rapports d'Intimacy, de Patrice Chéreau.

Carole Laure, souvent en habit d'Ève chez Gilles Carle, filme ici le sexe caché, comme elle aurait elle-même voulu être filmée. Parce que la suggestion est parfois plus évocatrice que l'acte lui-même. Pas ici. Il n'y a rien d'évocateur dans cette Rose (Catherine de Léan) attirant son amant à la moue boudeuse dans la clairière. Pas de trace de cette «femme sauvage» dont parle Carole Laure en entrevue. Elle s'est évaporée. Son double évanescent, magnifiée maladroitement par des effets de réalisation à l'eau de rose, enfile les caresses comme autant de figures imposées par une chorégraphie des années 80.

Lust, Caution, en revanche, évoque le potentiel dangereux du rapport sexuel. Dans sa brutalité et sa violence. Dans l'humiliation et le rapport de force. Elle (Wei Tang) couche avec lui pour le trahir. Il (Tony Leung) couche avec elle pour la dominer. Ils n'ont de commun que le désir, feint ou réel. Leur liaison, pourtant teintée de mensonge, m'a semblé 1000 fois plus crédible que celle des amants de Carole Laure. Pas seulement en raison du jeu des acteurs (celui de La capture est, restons polis, inégal), mais d'un climat. Le climat trouble de la tension sexuelle. Celle-ci est palpable chez Ang Lee, absente de l'oeuvre de Carole Laure. Elle sert le récit de Lust, Caution, mais manque cruellement à celui de La capture.

Est-ce que le sexe cru de Lust, Caution est plus érotique que le sexe allégorique de La capture? Plus vraisemblable peut-être (en autant que faire l'amour nu semble plus vraisemblable que tout habillé). Mais plus érotique? Rien n'est plus clair. Le bon sexe cinématographique se démarque du mauvais sexe cinématographique selon des critères d'évaluation qui appartiennent à chacun. Ce qui est sensuel pour les uns est vulgaire pour les autres, érotique pour les premiers, pornographique pour les seconds. Beau ou laid, violent ou passionné, dangereux ou inoffensif, excitant ou dérangeant, cochon ou charnel? C'est une question de perspective.

L'émoi de certaines à la vue des caresses pudiques de L'amant de Jean-Jacques Annaud peut-il être comparé à celui suscité chez d'autres par les poses frondeuses de Ludivine Sagnier dans Swimming Pool de François Ozon? La froideur clinique du féminisme sexuel de Catherine Breillat est-elle plus déstabilisante que le viol du personnage de Monica Bellucci dans Irréversible de Gaspar Noé? Est ce que le trip à trois d'Y tu mama tambien d'Alfonso Cuaron est moins osé que celui des adolescents de Ken Park de Larry Clark? Le sexe sado-maso de Secretary de Steven Shainberg, moins tabou que celui du prof noir et de son étudiante blanche plaquée contre le mur, dans Storytelling de Todd Solondz?

J'effleure évidemment le sujet. D'autres ont consacré des thèses à la représentation de l'acte sexuel au cinéma, et à l'interprétation que nous en faisons comme spectateurs. «C'est pas de l'art ça, c'est du sexe», disait Paul Newman en 1977 dans la délicieuse version doublée au Québec de Slap Shot. Se référait-il à L'empire des sens de Nagisa Oshima, sorti l'année précédente? Depuis le premier baiser au cinéma (en 1896), le sexe obsède le cinéphile. Ce n'est pas près de s'arrêter.