Dimanche dernier, invité sur le plateau de Tout le monde en parle à titre de porte-parole du Sommet du millénaire, Patrick Huard se disait extrêmement préoccupé par la famine dans le monde. Des enfants ne mangent pas à leur faim, c'est un phénomène qui existe, ajoutait-il, même si lui-même, ayant peu voyagé, n'avait pas eu l'occasion de le constater de visu.

Avant même que j'aie eu le temps de me questionner sur la pertinence du choix de Huard comme porte-parole, son plaidoyer pétri de bons sentiments provoquait une salve d'applaudissements en studio. Réaction prévisible, Huard étant passé maître dans l'art de manipuler une foule.

Deux jours plus tard, j'ai pu constater, de visu, que la fibre miséricordieuse de Patrick Huard n'en faisant pas pour autant un adepte de la simplicité volontaire. On apprenait que «l'idéateur» de Bon Cop, Bad Cop avait refusé de voyager en classe «sardine» (économique) jusqu'à Paris, à l'invitation de la SODEC (lire: aux frais des contribuables), pour y participer à l'événement Cinéma du Québec.

Avant même que j'aie eu le temps de me questionner sur la pertinence de présenter Les 3 p'tits cochons aux Français, Huard rajoutait une couche de lard pour bonne mesure: je ne suis pas traité avec la déférence due à mon rang, du haut de mon box-office record, je mérite une place en classe «requin», si j'étais joueur de hockey pour vrai, je l'aurais déjà mon Oscar... Bref, «I don't get no respect», comme disait feu son confrère Rodney Dangerfield. À quoi l'on a envie de répondre: «Farme ta yeule!», à la manière de Huard version humoriste.

Sacré Huard. Ce qu'il peut être drôle, parfois. Son numéro ironique sur la misère des riches m'a fait crouler de rire. Faire semblant de se plaindre d'être contraint à voyager avec la plèbe jusqu'à Paris en classe «normale», toutes dépenses payées par des deniers publics, avec à la clé un per diem de seulement 500 euros (720$)... Il fallait y penser. J'étais encore plié en deux lorsque le comique a regretté, le lendemain, de n'avoir touché qu'un salaire (de famine) de 160 000$ pour la réalisation de son premier long métrage. L'équivalent, quoi, de quatre ans de salaire d'un chauffeur de taxi, mon Rogatien?

M'est avis que Patrick Huard devrait déjà se considérer chanceux d'avoir réalisé un film. Bien des cinéastes de métier paieraient pour être à sa place. Certains courraient prendre un bateau-mouche à destination de Paris. En payant leur ticket le prix d'un billet d'avion, sans se plaindre que le cinéma québécois, qui vit artificiellement à coup de subventions, ne fait pas d'eux des millionnaires. Pauvre Patrick. Ne vous fiez pas aux économistes: le Huard est en baisse. Et il n'est vraiment pas fort.

À réfléchir

Patrick Huard n'aurait pas à voyager très loin, même sur le bras et en classe affaires, pour voir des enfants crever la faim. Huit ans après L'erreur boréale, les cinéastes Richard Desjardins et Robert Monderie sont allés à la rencontre du tiers-monde, ici même en Abitibi-Témiscamingue. Ils en ont tiré, après des années de travail, un documentaire fascinant, dérangeant et essentiel sur les quelque 9000 Algonquins de leur région. Voilà qui vaut davantage que n'importe quel salaire.

Le peuple invisible (qui prend l'affiche vendredi) traite de l'ethnocide de la population algonquine du Québec, dépouillée de sa culture par la majorité blanche. Ce film, qui aurait pu s'intituler «Les dépossédés», s'intéresse au déracinement d'un peuple laissé pour compte. À une nation à qui l'on a grugé les terres, en même temps que la dignité.

Avec cette leçon d'histoire et de désespoir, qui fera certainement oeuvre utile, Richard Desjardins et Robert Monderie poursuivent leur démarche citoyenne, entamée il y a 30 ans (Comme des chiens en pacage). Le regard qu'ils posent sur les Algonquins évite les écueils de la complaisance et du manichéisme. Le peuple invisible n'en est pas moins une oeuvre engagée, qui pose la nation algonquine en victime, ce qu'elle est en réalité. Depuis l'invasion européenne, en passant par la Loi sur les sauvages (qui considérait les Amérindiens comme des êtres inaptes) et les sévices sexuels subis dans les pensionnats des pères Oblats, jusqu'aux injustices d'aujourd'hui.

Les cinéastes laissent parler les faits. Car ils parlent d'eux-mêmes. À Kitcisakik, 400 Algonquins considérés comme des squatteurs sur leurs terres ancestrales vivent sans égouts, sans eau courante ni services d'Hydro-Québec, à deux pas d'un barrage qui pourrait leur fournir de l'électricité à l'année. Les Algonquins du Québec, qui gagnent en moyenne 15 000$ annuellement, ont pour la moitié moins de 30 ans. La moitié des jeunes garçons algonquins ont déjà tenté de se suicider. Le taux de suicide chez les jeunes femmes est sept fois supérieur à la moyenne nationale. Le taux de mortalité infantile, cinq fois plus élevé que dans le reste du pays. Si elle formait un État, la nation algonquine arriverait au 63e rang mondial en ce qui a trait au niveau de vie (l'équivalent du Congo et du Ghana).

Aux prises avec des problèmes d'alcoolisme et de consommation de drogues, de violence conjugale, d'inégalité sexuelle, de favoritisme politique, de consanguinité, d'assistance sociale, d'éducation et de santé, les Algonquins vivent dans l'indigence à nos côtés comme dans un monde parallèle, menacés à tout moment de disparaître. «On est comme des fantômes sur nos terres», dit l'un d'entre eux. De quoi nous faire tous réfléchir. Même Patrick Huard.