Récemment, une collègue m'a abordé en affichant un air dépité. Elle venait de revoir Les chansons d'amour. Et avait détesté le film de Christophe Honoré aussi viscéralement que lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois à Cannes. «Je fais pourtant des efforts! m'a-t-elle dit, visiblement désolée. Je voudrais aimer ce film autant que toi; je voudrais éprouver le même plaisir. Mais je n'y arrive pas!»

Remarquez que cette collègue n'est pas toute seule dans son groupe. Si je me fie au nombre d'entrées famélique qu'a enregistré ce petit film "en chanté" cette dernière semaine, nous ne sommes qu'une poignée à avoir souscrit à la proposition.

Compte tenu de sa nature, je vous dirai qu'il est tout à fait normal qu'un film comme celui-là suscite des réactions très opposées. Là n'est pas la question. Mais je m'inquiète quand même un peu. Je crains en effet que l'échec sans appel du film chez nous ne cache en vérité le symptôme d'un phénomène encore plus névralgique; beaucoup plus grave à mon avis: notre désintérêt collectif quasi total envers le cinéma français.

Oui, il y a La vie en rose, OSS 117 et autres Amélie Poulain. Mais hors de ces films rassembleurs appelés à connaître de grandes carrières commerciales, point de salut pour le cinéma français au Québec. Si la tendance se maintient, les films plus fragiles, ceux-là mêmes qui, il n'y a pas si longtemps, parvenaient pourtant à trouver un écho auprès du public cinéphile, disparaîtront de nos écrans. Et ne pourront désormais espérer qu'un repêchage par les festivals ou les événements spéciaux.

On me répondra que les artisans du cinéma français l'ont bien cherché. À force de proposer des trucs que personne n'a envie de voir, ils ont atteint leur but. Le cliché selon lequel un film français est forcément un pensum insupportable est encore solidement ancré dans certains esprits. Or, il se produit encore de très beaux films au pays de Pascale Ferran. L'ennui, c'est que certains d'entre eux ne traversent jamais l'Atlantique. Et qu'à force de ne plus les voir, nous en venons à ne plus en comprendre les codes narratifs, les références, la manière.

Et puis, cette manie désinvolte qu'ont maintenant nos cousins de tout céder à l'anglais, notamment quand vient le moment de choisir des chansons thèmes, devient aussi un facteur non négligeable dans le recul du rayonnement de leur culture en nos terres. Tiens, c'est peut-être aussi pour cela que j'ai beaucoup d'affection pour Les chansons d'amour: toutes les chansons y sont chantées dans la langue de Molière. Avant le film d'Honoré, il fallait pratiquement remonter jusqu'à 8 Femmes pour entendre une chanson française dans un film français. Ou alors se farcir un Lelouch...

La presse est unanime

Puisque nous avons commencé cette chronique en évoquant cette envie de partager l'enthousiasme d'autrui pour une oeuvre, je dois avouer que je me suis récemment retrouvé dans la même position que ma collègue. À la différence que, dans mon cas, c'est encore plus troublant. Parce que je me retrouve aujourd'hui sur la ligne de touche avec There Will Be Blood, un film envers lequel la presse a manié le dithyrambe dans un rare élan d'unanimité.

Tous les commentaires lus ou entendus étaient du même ordre. Pas le moindre bémol. Une amie cinéphile, dont je ne pourrais remettre en question la qualité du jugement, a même carrément affirmé, sans aucune hésitation, que ce nouveau film de Paul Thomas Anderson, en nomination pour huit Oscars, était le meilleur film américain qu'elle avait vu depuis 10 ans. Rien que ça!

Motivé par tant de louanges, je vais ainsi voir ce film après tout le monde, convaincu de pouvoir ajouter ma modeste voix au concert d'éloges. La projection du chef-d'oeuvre annoncé commence. Et j'attends. Au bout d'une heure, j'attends encore. J'admire la réalisation, d'une qualité irréprochable. Je suis soufflé par les images, sublimes dans leur âpreté même. Je souscris à la vision d'un cinéaste qui, à travers l'histoire imaginée par le romancier Upton Sinclair, parvient à cristalliser les valeurs fondamentales avec lesquelles la société américaine s'est construite. Je comprends et j'apprécie tout ça. Pourtant, je reste en retrait, jamais bouleversé par ce qui se déroule sur l'écran, pas même vraiment ému. Oui, Daniel Day-Lewis est extraordinaire, mais bon sang qu'il en fait son pesant de baril de pétrole. Il en donne plus que ce que le pipeline en demande, à vrai dire. Et je me retrouve ainsi seul sur le pavé froid à la sortie, tentant de comprendre pourquoi je n'ai pas été touché autant que tout le monde. Et je me dis que je voudrais bien aussi, parfois, emprunter les yeux des autres.

La presse est (encore) unanime

Pendant mes quelques semaines de pause, j'ai aussi fait un détour du côté de Paris, histoire d'aller interviewer des artisans du cinéma français pendant quelques jours. Histoire, aussi, d'assister à la grande première européenne d'Astérix aux Jeux olympiques (à l'affiche au Québec le 11 juillet), ce péplum de 115 millions de dollars qui s'est fait mettre en charpie par la presse française cette semaine. À mon retour, on m'a évidemment beaucoup demandé ce que je pensais du film. En guise d'indice, je reproduis ici la réponse qu'a donnée Gérard Depardieu (l'irremplaçable interprète d'Obélix) à la question suivante, dans le journal Le Matin: Pour vous, Astérix 3, c'est quoi?

«C'est un film comme l'époque les aime. On est dans un cinéma industriel qui s'essouffle. Il faut passer en 3D, en relief, si on veut vraiment voir du spectacle. Maintenant, l'industrie du cinéma a tué tous les auteurs. Parce que les télévisions ont mis beaucoup du leur pour commander des films plats, lisses, sans rien. Dans le cinéma français, aujourd'hui, c'est presque comme dans les reality-shows. Il n'y a plus de créateurs, plus aucune invention. Et ça, c'est dommage. Tant qu'il y aura des chaînes à la con dirigées par des abrutis qui ont fait Sciences Po et qui ne connaissent rien au cinéma, ça sera comme ça.»

Ça situe.