La 10e Soirée des Jutra, dont on a dévoilé hier les finalistes, aura pour moi des airs de Soirée des oubliés. Et je ne pense pas spécialement à Patrick Huard, absent de la catégorie du meilleur réalisateur.

Huard, dont le premier film part en tête dans la course aux récompenses du cinéma québécois (13 nominations), s’est bien acquitté de sa tâche. Là n’est pas la question.

Sa réalisation est même à mon avis ce qu’il y a de plus réussi dans Les 3 p’tits cochons, un film correct (sans plus), auquel j’aurais préféré Le ring, Contre toute espérance, voire Bluff, dans la catégorie du meilleur film.

Avec un scénario particulièrement peu subtil, Les 3 p’tits cochons fait un bien drôle de favori pour cette 10e remise des Jutra. Et je ne parle pas du potentiel comique de ses gags parfois douteux.

Je ne m’explique pas plus sa sélection dans la catégorie du meilleur scénario (je lui remettrais sans hésitation le Jutra du scénario le plus prévisible) que celle de L’âge des ténèbres. Denys Arcand n’a jamais accouché d’un récit plus confus et bancal.

Pour tout le respect que j’ai pour Isabel Richer et son travail – fort convenable dans Les 3 p’tits cochons –, je ne m’explique pas davantage qu’elle ait été retenue dans la catégorie de la meilleure actrice pour son rôle de mère de famille cocufiée (par le personnage de Claude Legault). Il ne s’agit certainement pas d’un premier rôle (ni d’ailleurs d’un grand rôle). La performance déchirante d’Anne-Marie Cadieux dans Toi, de François Delisle, aurait méritée d’être soulignée en lieu et place.

Dans la catégorie de la meilleure réalisation, certains verront sans doute dans l’absence de Patrick Huard un manque de cohérence, étant donné que Les 3 p’tits cochons est nommé dans toutes les catégories de pointe. A-t-il été snobé par ses confrères réalisateurs (les finalistes des Jutra sont choisis par des jurys de pairs) ? Peut-être. Je regrette de mon côté qu’Anaïs Barbeau-Lavalette n’ait pas été sélectionnée dans cette catégorie pour sa mise en scène tout en finesse du Ring.

L’un des grands oubliés de cette Soirée des Jutra est d’ailleurs à mon avis le jeune Maxime Desjardins-Tremblay, dont la performance lumineuse dans Le ring aurait dû être reconnue dans la catégorie du meilleur acteur.

Et que dire de l’absence de Fanny Malette de la catégorie de la meilleure actrice dans un rôle de soutien pour Continental, un film sans fusil ? Incompréhensible.

Le meilleur film québécois de l’année – de l’avis général des critiques – doit se contenter d’une seule nomination pour son ensemble choral, celle de Réal Bossé dans la catégorie du meilleur acteur dans un rôle de soutien. Que Paul Doucet (Les 3 p’tits cochons) ait été préféré à Gilbert Sicotte dans cette même catégorie dépasse selon moi l’entendement.

Heureusement, Continental, et son auteur-cinéaste Stéphane Lafleur, n’ont pas été oubliés. La magnifique Guylaine Tremblay de Contre toute espérance n’a pas été oubliée. Laurence Leboeuf, admirable dans Ma fille mon ange, n’a pas été oubliée. Le documentaire-choc de Richard Desjardins et Robert Monderie, Le peuple invisible, n’a pas été oublié.

Et si, au final, ils remportent tous un Jutra le 9 mars, j’oublierai peut-être (un peu) l’affront fait aux oubliés.