J'étais en train de planifier mon week-end autour des Césars et des Oscars quand il a bien fallu que je me rende à l'évidence. La 33e soirée des Césars du cinéma français, qui aura lieu ce soir au Théâtre du Châtelet à Paris, ne figurait nulle part dans la grille horaire de TV5 Québec-Canada.

Je me suis d'abord dit qu'il devait y avoir une erreur. Que le fait de devancer la cérémonie d'une journée avait peut-être confondu les esprits. La direction des Césars a en effet décidé de tenir son gala un vendredi afin de permettre à ses artisans qui sont aussi sélectionnés aux Oscars - c'est notamment le cas de Marion Cotillard et de Marjane Satrapi - d'avoir le temps de se rendre à Los Angeles sans risquer la crise cardiaque en chemin.

Parlez-en à Christophe Barratier. Non seulement le réalisateur des Choristes avait-il dû ronger son frein pendant toute la durée de la soirée parisienne, alors que la plupart des trophées étaient remis à d'autres productions, mais il avait aussi dû se taper 12 heures de vol tout de suite après la cérémonie pour se rendre à Hollywood. Il était ainsi arrivé là-bas le lendemain sur les chapeaux de roues, juste à temps pour entendre Beyoncé massacrer cavalièrement, dans un charabia invraisemblable, la chanson de son film sur la scène du Kodak Theatre.

Je scrute la grille horaire de jour, de nuit, du lendemain et je ne trouve toujours rien. Mauvais présage. Coup de fil aux gens de TV5. Mes craintes se confirment. La soirée des Césars n'est pas diffusée au Québec cette année. Le nouveau directeur de la programmation de TV5 Québec-Canada, Pierre Gang (vous vous rappelez Sous-sol avec Louise Portal? - c'est lui qui a réalisé ce film), m'indique que TV5 Monde n'a pu s'entendre avec Canal Plus, le diffuseur français. Qui demande trop cher en regard des auditoires que de telles émissions attirent. Je peux comprendre. Mais mon gros party du week-end est quand même à moitié gâché.

C'est vrai, nous n'étions probablement qu'un tout petit groupe d'irréductibles à apprécier une cérémonie qui, au Québec, était diffusée par la chaîne mondiale francophone depuis près d'une vingtaine d'années. Au-delà des films et des artisans, des accords ou des désaccords avec les choix faits par les «professionnels de la profession», il reste que ce show de télé bien français regorge habituellement d'imprévus de toutes sortes, du genre de ceux qui ne sont évidemment pas relayés dans les comptes rendus officiels.

Au hasard, des souvenirs qui s'entremêlent. L'intense baiser que donne Serge Gainsbourg à sa fille Charlotte quand cette dernière obtient le César du meilleur espoir féminin grâce à L'effrontée de Claude Miller. Odette Laure (Daddy Nostalgie) qui réclame de la salle un prix alors qu'elle n'est pas la lauréate. La bourde de Vanessa Paradis qui annonce un César pour Judith Godrèche alors que le trophée est plutôt destiné à Judith Henry (La discrète). L'émotion de Romane Bohringer quand elle reçoit un César pour Les nuits fauves alors que le réalisateur Cyril Collard vient tout juste de mourir. L'émotion, encore, d'Annie Girardot, qui constate qu'elle n'est «pas encore tout à fait morte». Le fou rire incontrôlable de Valeria Bruni-Tedeschi quand elle mêle ses fiches. Depardieu, éméché, qui apparaît inopinément sur la scène alors que sa fille Julie vient d'être consacrée. La mauvaise humeur générale de Jean-Pierre Bacri. Sans parler de toutes ces interruptions provoquées par divers groupes de pression, qui, régulièrement, ont pris la scène d'assaut afin de sensibiliser les téléspectateurs à leurs causes.

Et je n'ai même pas encore évoqué les animateurs qui se sont succédé au fil des ans. Comment oublier le fameux «J'appelle!» de Frédéric Mitterrand? La grandiloquence de Richard Bohringer? Bon sang que j'ai ri. Il faut dire que du côté de l'animation, l'Académie des Césars, imitant ainsi celle des Oscars, a rectifié le tir depuis cette époque grandiose en faisant appel à des humoristes. Gad Elmaleh, Édouard Baer et Valérie Lemercier se sont bien acquittés de leur tâche.

Mais c'est sans contredit Antoine de Caunes qui emporte le morceau à cet égard. Après avoir été absent de fonction pendant plusieurs années, de Caunes effectue d'ailleurs un retour à l'animation ce soir. Et nous n'aurons même pas l'occasion d'y assister? Frustrant. D'autant plus que, pour une rare fois, la plupart des films en lice aux Césars ont déjà été vus au Québec. Les pronostics sont d'ailleurs difficiles à établir, car les cinq productions sélectionnées pour le César du meilleur film de l'année sont de très haute tenue.

Même si j'ai personnellement beaucoup apprécié La môme (sorti ici sous le titre La vie en rose), Persepolis, Le scaphandre et le papillon et Un secret, je crois que mon vote irait du côté de l'extraordinaire film d'Abdellatif Kechiche La graine et le mulet. Le réalisateur de L'esquive a en effet réussi, une fois de plus, un tour de force en brossant un portrait de société sensible et juste à travers le parcours d'un vieux Maghrébin qui veut tout simplement ouvrir son propre restaurant à Sète. Acquis par Métropole Films, le film de Kechiche sera présenté dans le cadre des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec avant de prendre l'affiche en salle l'été prochain.

Mais quoi qu'il advienne ce soir à la cérémonie des Césars, il faudra désormais nous contenter d'en lire les comptes rendus officiels. C'est pas mal moins drôle. Ave César, les deux pelés et trois tondus qui t'ont suivi d'outre-Atlantique te saluent.

Un Airplane québécois?

Il fut annoncé cette semaine qu'un projet de film parodiant les grands succès du cinéma québécois était en préparation sous l'égide de Louis Morissette, François Avard, Jean-François Mercier et Jean-François Léger. C'est un projet légitime, qui, d'une certaine façon, témoigne de la vitalité de notre cinématographie.

J'aurais toutefois été plus enthousiaste si les producteurs ne comptaient pas sur l'appui des institutions publiques pour financer leur ersatz de Meet the Spartans. Les artisans ont beau être animés des meilleures intentions, et déclarer vouloir atteindre les objectifs d'un film traditionnel et «ne pas juste faire du niaisage», il reste que je tique un peu. Surtout dans un contexte où l'argent est rare et que de nombreux cinéastes de renom attendent patiemment leur ticket. Doit-on simplement rappeler que Robert Lepage en a tellement eu marre qu'il a décidé de jeter l'éponge? Cela aussi, c'est pas mal moins drôle.