Jusqu'à la dernière minute, j'ai retenu mon souffle... et ma réservation d'avion. J'avais peut-être mes billets pour assister à la cérémonie des Oscars, mais aucune certitude qu'elle aurait bel et bien lieu. Heureusement, le bon sens marchand a prévalu, provoquant un règlement entre les scénaristes en grève et les grands studios, juste à temps pour célébrer le 80e anniversaire d'Oscar au Kodak Theatre demain.

Dire qu'il y a à peine un mois, le Tout-Hollywood s'est réuni dans ce même théâtre pour assister à une fascinante pièce à deux personnages intitulée Barack versus Hillary et interprétée par les deux acteurs du même nom.

Mais ça, c'est une autre histoire. Revenons aux Oscars qui se dérouleront donc comme prévu, avec vedettes, starlettes, mais sans Barack et Hillary, au cours d'une interminable émission diffusée par ABC qui durera bien au-delà des 36 000 secondes d'extase requises, mais dont la longueur indue sera compensée par l'esprit vif et caustique de l'animateur John Stewart.

Je serai dans la salle au troisième balcon avec ma robe noire, mes talons et tout l'espoir du monde pour mon grand favori qui part gagnant mais qui risque de tout perdre. Je parle du film There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, l'histoire d'un magnat du pétrole au début du siècle dernier, qui, emporté par son ambition et sa soif de réussite, devient un monstre. J'aime ce film plus que tous les autres parce qu'il y est question des fondements de l'Amérique que nous connaissons aujourd'hui: une Amérique née de l'union pourrie et hypocrite de la religion et du pétrole avec d'un côté, cet entrepreneur obsédé et ambitieux qui fait semblant de croire en Dieu pour arracher aux fidèles leurs terres gorgées de pétrole et de l'autre, l'homme de Dieu qui ferme les yeux sur les manigances de l'entrepreneur parce qu'il a besoin de l'argent de son pétrole pour bâtir ses églises.

Ces deux-là profitent l'un de l'autre en se foutant éperdument de Dieu et en se drapant de principes qu'ils s'empressent de trahir au nom de l'argent et de l'ambition.

Il y a longtemps que j'avais vu un film américain aussi critique de l'histoire et de la société des États-Unis. Rien que pour sa lucidité et la pugnacité du procès à peine voilé qu'il fait de l'Amérique de George W. Bush, There Will Be Blood mérite à mes yeux l'Oscar du meilleur film.

Mais je prédis déjà que les membres de l'Académie de cinéma n'oseront pas couronner un film aussi antiaméricain.

Leurs votes iront plutôt à No Country for Old Men des frères Coen, un western post-moderne plus violent au plan graphique mais tellement plus léger au plan des idées. Il y est question du mal qui a le visage d'un psychopathe froid, sanguinaire et amoureux du hasard. Le message? Le mal avait un visage plus sympathique avant. Un message moins intéressant que le langage cinématographique qui le porte.

Il se peut aussi que j'erre complètement et que ce soit un autre film qui soit couronné. Peut-être Michael Clayton, Atonement ou le délicieux Juno. Chose certaine, cette année, ce ne sont pas les bons films qui manquent. En fait, on dirait que plus ça va mal aux États-Unis, plus la société se désagrège, plus l'économie fout le camp et plus leurs films sont bons. En attendant que la déconfiture soit complète, tout ce qu'on peut espérer c'est que demain soir, le meilleur gagne. L'enveloppe s'il vous plaît.