Il ne faisait pas très beau, il ne faisait pas très chaud, le tapis rouge était recouvert d’un dôme semblable à un immense condom. Il y avait trois fois plus d’agents de sécurité que de stars et quatre fois plus de robes rouges que de robes noires. Mais qu’importe, puisque George Clooney était là.

Nous sommes arrivés pratiquement en même temps devant le Kodak Theatre, lui au bras de sa belle, moi agrippée à mon sac de soirée. Il était 15 h et des poussières, l’heure d’arrivée des «nobodies», pas des stars. Mais puisque George Clooney avait annoncé la veille qu’il avait autant de chances de gagner un Oscar que Hillary Clinton en avait de battre Barack Obama, il avait de toute évidence décidé de mettre les bouchées doubles avant la défaite finale.

À 15 h 16, George a donné sa première entrevue sur le tapis rouge. Considérant le thème général de la soirée – l’entrée d’Oscar dans le club des octogénaires et le couronnement du film No Country for Old Men – George avait l’air étonnament jeune et vert. Je me suis juré de lui parler avant la fin de la cérémonie. Une heure quarante plus tard, il était encore sur le tapis. Pris dans un bouchon de circulation comme une limo, il n’avait pas avancé de 10 m et s’éloignait de plus en plus de moi. Qu’importe, la soirée était encore jeune.

Je me suis retournée et Daniel Day-Lewis a failli tomber dans mes bras. Grand, mince, le visage juvénile et rayonnant, il avait allumé sa petite lumière intérieure, comme le font tous ceux qui sont assurés de gagner un Oscar. Je lui ai souhaité bonne chance en français. Il m’a répondu merci avec un sourire reconnaissant. L’Espagnol Javier Bardem lui, n’avait pas seulement allumé sa lumière intérieure, mais toutes ses lumières de Noël tant il semblait heureux d’être un acteur plutôt qu’un psychopathe et de parader sur le tapis rouge avec ses propres cheveux plutôt qu’avec la hideuse perruque que lui font porter les frères Coen dans No Country for Old Men.

Juste au moment où j’allais lui souhaiter bonne chance en espagnol, il a disparu, emporté par une meute d’avocats et d’agents. Je me suis rabattue sur Jason Reitman, le réalisateur de Juno, accompagné de toute sa tribu et arborant l’air confiant d’un homme qui sait que même s’il ne gagne pas ce soir, il gagnera bien un jour.

«Mon fils n’est pas nerveux du tout, m’a assuré sa mère, la Montréalaise Geneviève Robert. Cette nuit, il a dormi comme un bébé. C’est quelqu’un de solide, vous savez. Mon mari et moi sommes vraiment fiers de lui et tellement émus de nous retrouver ici sur le tapis rouge, ce soir, pour lui.» Et Ivan Reitman d’ajouter, sans conviction, le cliché de la soirée. «Même si Jason ne gagne pas ce soir, il a déjà gagné.» Mais oui, papa...

J’ai poursuivi ma course à obstacles sur le tapis rouge en me sentant légèrement traquée par les agents de sécurité qui criaient «Circulez, circulez!» comme si nous étions sur la scène d’un accident. J’ai croisé Chris et Maciek, les deux créateurs de l’inquiétante et attachante Madame Tutli-Putli, le court métrage d’animation produit par l’Office national du film. Ils portaient tous les deux un nœud papillon et le même costume rayé Mayeu, acheté avenue du Mont-Royal. Ils étaient nerveux comme des types qui s’en vont à leurs propres noces sans savoir si la mariée va les attendre. «Avez-vous préparé un discours?» leur ai-je demandé. Maciek s’est empressé de répondre non. Sa blonde, Stéphanie Weber-Biron, qui portait une magnifique robe rouge semblable à une pagode chinoise signée Georges Lévesque de chez Scandale, s’est empressée de le contredire.

J’ai dépassé Anne Hathaway, magnifique dans une robe fourreau rouge incrustée de roses, puis Jennifer Garner dans une robe fourreau noire que j’ai prise pour Hilary Swank, peut-être parce qu’elle portait la même robe fourreau moulée à partir de la même statue. Et j’ai subitement pris conscience que les stars, les vraies, celles qui brillent comme des astres phosphorescents et qui sont immédiatement reconnaissables, manquaient à l’appel.

Pas d’Angelina Jolie ni de Brad Pitt à l’horizon, pas de Julia Roberts ni de Tom Cruise ou de Warren Beatty.

Cette année, la plupart des gens en nomination étaient soit des inconnus, soit des as de la transformation et du camouflage. Aussi suis-je passée à côté de Marion Cotillard (meilleure actrice) à trois occasions sans savoir que c’était elle. Pas que je m’attendais à voir Édith Piaf en personne, mais disons que des jolies grandes brunes en robe fourreau blanche, il y en avait à la tonne. Même phénomène avec la meilleure actrice de soutien, Tilda Swinton. Avec ses cheveux orange et sa robe à mi-chemin entre la djellaba et le sac de couchage, elle ressemblait plus à une hippie des années 60 qu’à la cadre rêche et sèche, façon Micheline Charest, qu’elle incarne dans le film Michael Clayton.

Face à cette pénurie de stars phosphorescentes, je me suis réfugiée à l’intérieur où l’on servait du Laurent Perrier et des shooters aux crevettes. J’ai reconnu Vanessa Paradis avant Johnny Depp, peut-être parce qu’il manquait un bandeau noir et au moins 12 pouces au pirate des Caraïbes. J’ai tapé sur l’épaule de Vanessa pour lui dire bonjour. Sa bouche en cœur rouge s’est entr’ouverte pour laisser passer un petit «Ouhh!» de surprise. «Vous venez de Montréal? Enchantée», m’a-t-elle lancé avec un grand sourire et un léger accent anglais...

Cinquième balcon

Puis la grand-messe du cinéma a enfin commencé, précipitant les invités dans la salle et moi au cinquième balcon de la troisième mezzanine, où j’avais une vue imprenable sur le crâne de Jon Stewart. Très vite, les espoirs se sont mis à tomber comme des mouches. Au bout de 40 minutes, c’en était fait de Chris, de Maciek et de Madame Tutli-Putli. J’ai retrouvé Maciek au fumoir. Contre toute attente, il était soulagé. «Enfin, c’est fini! On va pouvoir reprendre le boulot. Dans le fond ce soir, j’avais deux choix. Ou bien je gagne l’Oscar, ou bien je retrouve ma vie et bien honnêtement, je suis très content de retrouver ma vie. Ça fait un an que le film est terminé et qu’on vit dans nos valises comme des commis voyageurs. Il est temps qu’on se remette à créer et à travailler sur notre prochain court métrage qui sera produit par Spike Jones.»

Chris était lui aussi soulagé, mais déçu de ne pas avoir pu passer son message. «Ça faisait deux jours que je répétais mon bout de discours en français. J’allais dire Bonjour Montréal et merci à tous mes amis montréalais, sans qui ce film n’existerait pas. C’est plate que je n’aie pas pu le faire.»

Non loin de Chris et Maciek, Julie Christie (Away from Her) semblait tout aussi soulagée. Celle qui a gagné un Oscar il y a plus de 40 ans pour son rôle dans Darling, mais qui a perdu dimanche soir contre Marion Cotillard, a filé au troisième fumer une cigarette dès que le verdict est tombé. Pas trop déçue? lui ai-je demandé. «Mais non, c’est la vie.»

Est-ce que tout cela vous rappelle de bons ou de mauvais souvenirs? ai-je risqué. «Pour être franche, je n’ai aucun souvenir de la soirée où j’ai gagné un Oscar. J’étais jeune et je ne me rendais compte de rien. Tout ce que je peux dire, c’est que ce que je vis ce soir et avec le recul que j’ai, est tellement plus agréable et intéressant.»

Vingt minutes plus tard, c’était au tour du cinéaste russe Nikita Mikhalkov d’entonner le même refrain quand l’Oscar du meilleur film étranger lui a échappé à la faveur du film autrichien Les faussaires.

«Pour moi, ce n’est pas grave. Je l’ai déjà eu, mon Oscar, pour Soleil trompeur en 1995. Mais je suis triste pour Andrej Wajda. Lui, il n’a jamais eu l’Oscar et à l’âge qu’il a, la course est un peu finie pour lui.»

J’ai filé une dernière fois aux toilettes dans l’espoir de soutirer une confession ou une recette de rouge à lèvres à une starlette. Je suis tombée nez à nez avec une jolie rouquine couverte de tache de rousseurs. Je l’ai félicitée sur sa belle émission à la télé le dimanche soir. «Laquelle?» m’a-t-elle demandé d’un air interloqué. «Celle qui raconte une histoire de frères et de sœurs», ai-je répondu. Elle a éclaté de rire : «Vous me confondez avec Sally Field. Moi je suis Sissy Spacek, mais ne vous sentez pas mal, Sally est une très bonne amie à moi.» Oups...

Et George?

No Country for Old Men venait d’être couronné lorsque j’ai réalisé que je n’avais toujours pas parlé ou même touché à George Clooney. Je l’ai attendu à la sortie de la salle, puis au pied de l’escalier roulant. Je l’ai cherché au bar, près des ascenseurs, à la porte des toilettes et à la table des caméras consignées. J’étais sur le point de renoncer à ma quête lorsque j’ai aperçu Chris de Madame Tutli-Putli. «As-tu vu George Clooney?» lui ai-je demandé d’un air un brin désespéré. «Oui, a-t-il répondu. On s’est rencontrés l’autre jour au dîner de l’Académie. Il est arrivé derrière Maciek et moi. Il nous a donné une tape dans le dos en nous disant qu’il avait beaucoup aimé notre film. Je portais exactement le même veston que ce soir.»

Mon esprit n’a fait qu’un tour pendant que ma main s’abattait sur le veston béni. Je n’ai peut-être pas rencontré George Clooney, mais selon la théorie des six degrés de séparation, nous sommes désormais unis. Merci Chris. Je me sens comme si je venais de gagner un Oscar.