Quand des résultats imprévus surviennent aux Oscars, on cherche généralement un coupable. Ne cherchez plus: le coupable, c'est moi! Ben non, je plaisante.

N'empêche que collègues et lecteurs veulent savoir pourquoi, par exemple, Tilda Swinton (Michael Clayton) a reçu la statuette aux fesses rebondies plutôt que Cate Blanchett, «donnée pourtant favorite» grâce à son étonnante performance dans I'm Not There. On veut des explications, une justification, une radiographie de la pensée académicienne. On veut comprendre.

Euh, s'cusez. D'abord, notre actrice australienne préférée n'a jamais été donnée favorite. Elle n'a même jamais vraiment été dans la course. Aux États-Unis, I'm Not There porte bien son titre. Il s'agit d'un film qui n'existe pas. Qui n'a jamais existé. Méritait-elle l'Oscar? Cent fois. Là n'est pas la question. D'ailleurs, les amis Cassivi et Sarfati et moi-même aurions voté pour elle, si nous avions été académiciens nous-mêmes.

Mais il s'agit de notre regard à nous, forcément différent de celui des membres de l'auguste Académie. En grande majorité, ces gens de cinéma sont de nationalité américaine et vivent dans les environs de Los Angeles. Il est d'ailleurs fascinant de constater à quel point les perceptions fluctuent d'un endroit à l'autre, ou même, d'un espace temporel à un autre.

Il n'y a pas si longtemps encore, aucune certitude n'entourait No Country for Old Men, le film lauréat de l'Oscar du meilleur film. Lancé publiquement au Festival de Cannes au mois de mai, le film des frères Coen avait même été complètement ignoré par le jury présidé par Stephen Frears. Même s'il était bien accueilli par la critique, personne n'aurait alors pu parier que No Country for Old Men deviendrait l'un des plus sérieux candidats au titre suprême hollywoodien.

L'automne dernier, alors qu'il amorçait sa carrière nord-américaine, nulle part n'avais-je même entendu le mot «Oscar» associé au film, sinon qu'à travers la performance de Javier Bardem. Trop violent, disait-on. Et le fait que le récit s'arrête plutôt que de conclure soulève habituellement l'ire du public américain. Tout autant que celle de notre ami Hugo Dumas.

Mais voilà. L'absence de productions véritablement rassembleuses a fait en sorte que la rumeur à propos du nouvel opus des frangins Coen a fini par s'emballer au point de gagner à peu près toutes les associations de critiques et de professionnels. Une fois rendu à la course aux Oscars, No Country for Old Men avait tellement d'appuis qu'il était entouré d'une aura dorée qui le rendait proprement imbattable. On a eu tant de mal à se chercher un favori qu'une fois trouvé, il n'était plus question d'en démordre. There Will Be Blood est ainsi arrivé trop tard dans le décor. Et fut beaucoup plus encensé à l'étranger qu'à l'intérieur des frontières américaines.

Quoi qu'il en soit, j'adore les surprises aux Oscars. Si, si. J'adore me tromper dans mes prédictions. Depuis quelques années, les indices étaient devenus tellement précis qu'il n'y avait pratiquement plus de plaisir à prévoir l'issue de la course. C'était particulièrement flagrant du côté des catégories d'interprétations, où les résultats sont souvent calqués sur ceux des Screen Actors Guild Awards (SAG).

Or, deux des prix remis dimanche étaient différents: la magnifique actrice écossaise Tilda Swinton d'abord (plutôt que Ruby Dee aux SAG); et, surtout, Marion Cotillard plutôt que Julie Christie. Même si, personnellement, j'aurais accordé mon vote à l'actrice britannique, vraiment remarquable dans Away From Her, je n'ai pu m'empêcher de pousser un cri de joie quand le nom de l'interprète d'Édith Piaf fut annoncé.

D'abord, parce qu'il s'agit d'une belle surprise. Ensuite, parce que Marion Cotillard est seulement la troisième actrice française à recevoir l'insigne honneur. Surtout, elle est la toute première à être honorée à Hollywood pour un rôle joué dans la langue de Molière. Claudette Colbert, lauréate en 1934 grâce à It Happened One Night de Frank Capra, n'avait plus de française que l'origine; et Simone Signoret, lauréate en 1960, a obtenu son Oscar grâce à Room at the Top, un film britannique réalisé par Jack Clayton.

Une sacrée belle revanche, en tout cas, pour une actrice qui a eu du mal à se faire prendre au sérieux après avoir tourné dans Taxi.

Moi pis ma gang...

Il semble que nous étions finalement un peu plus de deux pelés et trois tondus à avoir fidèlement suivi la cérémonie des Césars au fil des ans sur TV5. Si j'en juge par les nombreux commentaires outrés que vous m'avez fait parvenir à la suite de la non-diffusion des Césars au Québec, nous étions peut-être peu nombreux mais très convaincus!

Une lectrice était tellement en colère qu'elle a même décidé de téléphoner directement à l'Élysée pour faire entendre ses doléances en se faisant passer pour la présidente de TV5! Le subterfuge lui aurait permis de traverser la ligne de front présidentielle pour se rendre finalement jusqu'aux oreilles d'un attaché culturel. Qui a eu la gentillesse de l'écouter jusqu'au bout, une fois que la dame lui eut révélé sa véritable identité. Ça lui a fait beaucoup de bien. Peut-être à lui aussi. Et à moi d'avoir entendu cette histoire.