Le milieu du cinéma a raison de craindre le pire. Le projet de loi C-10 du gouvernement Harper laisse libre cours à bien des interprétations. Et pourrait ouvrir la porte à une forme insidieuse de censure, voire au retour d'un nouveau genre d'escouade de la moralité.

Les artistes ont raison de se méfier de tout ce qui peut être perçu comme une restriction à leur liberté d'expression. Le projet de loi C-10 n'est guère rassurant à cet égard. Il ouvre une brèche inquiétante à un pouvoir discrétionnaire du ministre du Patrimoine de refuser des crédits d'impôts à des oeuvres jugées «offensantes» ou «contraires à l'ordre public».

Le droit canadien est déjà très clair en ce qui concerne l'interdiction de la pornographie infantile, de la violence faite aux femmes et de la propagande haineuse dans les productions cinématographiques. La pornographie, même légale, n'est pas admissible aux crédits d'impôts.

Le projet de loi du gouvernement Harper ne se contente pas de réaffirmer ces principes, comme l'ont laissé entendre cette semaine des porte-parole du ministère du Patrimoine. Si c'était le cas, il ne serait d'aucune utilité. On ne propose pas des amendements à une loi pour le simple plaisir de rappeler l'existence de droits existants.

Il ne faut pas être dupe des intentions du gouvernement conservateur. Son projet de loi entend clairement permettre une interprétation plus restrictive de ce qui est acceptable de financer publiquement au cinéma, par le biais des crédits d'impôts. Qui, si le projet de loi est accepté, pourrait juger ultimement de ce qui est «acceptable», ou a contrario «offensant» ou «contraire à l'ordre public» ? Le ministre du Patrimoine, bien sûr. Sa décision serait basée sur l'avis d'un comité dit indépendant, relevant de son ministère et de celui de la Justice.

Des portes-parole du ministère du Patrimoine ont déclaré cette semaine au quotidien The Globe and Mail que le projet de loi C-10 permettrait d'élargir la définition de ce qui n'est pas admissible aux crédits d'impôts (qui comptent pour plus de 10% du budget d'un film). La «violence gratuite» et un «contenu sexuel explicite n'ayant pas de vocation éducative» pourraient entre autres s'ajouter aux critères actuels.

Qu'est-ce qu'un «contenu sexuel à vocation éducative» ? Il serait étonnant que les fonctionnaires du ministère de Josée Verner fassent référence au Kama-sutra. D'autant plus qu'on apprenait hier dans le Globe and Mail qu'un lobby conservateur religieux se targue d'être à l'origine du fameux projet de loi. En entrevue au quotidien torontois, l'évangéliste Charles McVety, président de la Canada Family Action Coalition, a estimé que des films qui font la promotion de l'homosexualité, de la violence et de la sexualité explicite ne devraient pas recevoir d'argent des contribuables canadiens.

Est-ce que Where the Truth Lies d'Atom Egoyan, Borderline de Lyne Charlebois et Eastern Promises de David Cronenberg, qui comptent des scènes de sexualité ou de violence, sont des films «offensants». Sans doute pas. Sont-ils «contraires à l'ordre public»? Certainement pas. Ils sont nécessaires à une cinématographie nationale.

Laisser le loisir à un ministre de juger du contenu d'un film, c'est risquer d'être surpris par son verdict. C'est ouvrir la porte à la censure et à son corollaire, l'autocensure. Ce n'est pas à un ministre, ni à ses fonctionnaires, ni à un gouvernement, quel qu'il soit, de déterminer ce qui représente ou non de l'art. Certains diront qu'une loi qui restreint la liberté d'expression ne passera jamais devant les tribunaux le test de la Charte canadienne des droits et libertés. Peut-être. Mais pourquoi courir le risque?