Depuis que la liste des candidats en lice pour la 10e soirée des Jutra a été annoncée, plusieurs observateurs s'interrogent sur un processus de sélection qui, parfois, révèle des choix plus inattendus. «Cou'donc, qui vote au juste?» m'a-t-on souvent demandé au cours des dernières semaines. Bonne question. À laquelle je tenterai de répondre le plus clairement possible. Suivez le guide. Follow the guide.

D'abord, il faut préciser que les organisateurs de la Soirée des Jutra ont dès le départ préféré intégrer au processus le plus grand nombre d'artisans possible. Plutôt que de faire une présélection en comité, comme c'est le cas pour la cérémonie des prix canadiens, les Genie, toutes les associations professionnelles québécoises liées de près ou de loin au milieu du cinéma sont, pour l'occasion, mises à contribution.

Au cours d'un premier tour de scrutin, les membres de chaque association déterminent les finalistes dans les catégories relatives à leur champ d'activité. Il s'agit du modèle des Oscars, à vrai dire. Les acteurs votent pour sélectionner les finalistes dans les catégories d'interprétation; les cinéastes dans celle de la réalisation; les scénaristes dans celle du scénario, et ainsi de suite.

En tout, 11 associations professionnelles sont invitées à participer au processus. Chaque association a la responsabilité de soumettre à la direction des Jutra les noms de leurs membres admissibles. Pour les associations regroupant moins de membres, il s'agit d'un jeu d'enfant.

Pour un syndicat comme l'Union des artistes, l'exercice est beaucoup plus périlleux. Comment repérer, parmi tous les membres de l'UDA, ceux dont l'expertise se révèle pertinente dans un scrutin destiné à reconnaître l'excellence dans le domaine du cinéma? Il fut ainsi déterminé que les artistes ayant récemment travaillé sous contrat avec l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) ont droit de vote.

Plus de 7000 bulletins ont été envoyés cette année. Près de 1500 sont revenus dûment remplis, et validés. Une fois la liste des finalistes annoncée, un deuxième tour de scrutin est alors organisé dans le but d'élire les gagnants des Jutra au suffrage universel. C'est-à-dire que l'ensemble des professionnels, peu importe l'association dont ils font partie, votent alors dans toutes les catégories, sauf celles consacrées au film d'animation, au court métrage et au documentaire. Ces derniers lauréats sont en effet déterminés par un jury.

On estime ainsi à près d'un millier les membres qui retournent leur bulletin dûment rempli au deuxième tour. Vous suivez toujours le guide? Personne ne s'est perdu en chemin?

Le système parfait n'existe pas, bien sûr. D'où, parfois, un certain déséquilibre dans les résultats du premier tour. Plusieurs observateurs ont notamment relevé la surreprésentation des 3 p'tits cochons dans la course de cette année. Treize nominations, c'est beaucoup. Comme l'écrivait très justement l'ami Cassivi récemment, un rééquilibrage se fait habituellement au deuxième tour. Ainsi, les «professionnels de la profession» ont toujours fait des choix très honorables quand est venu le moment de déterminer les lauréats. Ils ont en effet élu Congorama plutôt que Bon Cop, Bad Cop l'an dernier; Mémoires affectives plutôt que Ma vie en cinémascope en 2005; Les invasions barbares plutôt que La grande séduction en 2004; et Québec-Montréal plutôt que Séraphin, un homme et son péché en 2003. C.R.A.Z.Y. est le seul lauréat du Jutra du meilleur film qui s'adonne aussi à avoir obtenu le billet d'or du film le plus populaire de l'année. Cela relevait de l'évidence.

Le délégué général de la Grande Nuit du cinéma, Henry Welsh, évoque d'emblée l'aspect démocratique de ce système électoral. «Surtout, nous avons toujours obtenu une excellente collaboration de la part de toutes les associations professionnelles. Les Jutra n'ont jamais été marqués par de graves dissensions, au contraire. Tout est fait en collégialité», fait-il remarquer.

Forcément, la cérémonie évolue. Et doit s'ajuster à une réalité qui change d'années en année. Même si le nombre de films admissibles à la course a doublé depuis la création des Jutra (32 films en lice cette année plutôt que 16 en 1999!), il n'est pourtant pas question, du moins pour l'instant, d'ouvrir les catégories à un cinquième finaliste. Aussi, l'organisation est tenue par le diffuseur, Radio-Canada en l'occurrence, à une limite de 14 remises de trophées. D'où la création d'une cérémonie «hors d'ondes» qui, a-t-on pu lire cette semaine dans notre courrier des lecteurs, ne fait pas que des heureux auprès des artisans.

Personnellement, je verrais avec bonheur l'ajout d'un cinquième finaliste dans les différentes catégories. Cela dit, si l'on doit se limiter à quatre candidats, j'envisagerais alors d'imiter nos cousins français pour créer un Jutra du meilleur premier film. Vous verriez ça? Une course entre Bluff, Continental, un film sans fusil, Le ring et Les 3 p'tits cochons? Il me semble que cela aurait de la gueule. D'autant que nous aurions déjà deux finalistes assurés pour l'an prochain: Borderline et Tout est parfait. Mais quoi qu'il advienne, nous serons bien entendu rivés à notre petit écran dimanche afin d'avoir des nouvelles de ce qui se passe sur le grand. Je vous invite d'ailleurs à lire notre dossier complet sur la 10e Soirée des Jutra demain.

Vive les Aurore!

Ainsi donc, le distingué jury des prix Aurore a remis le titre suprême du pire film de l'année à Québec sur ordonnance de Paul Arcand. Loin de moi l'idée de jouer les gérants d'estrade, mais j'ai quand même souvenance qu'un certain party de préados avait laissé des marques très profondes dans mon esprit...