Je suis l'un des trois pelés et quatre tondus qui ont regardé, lundi soir, le 28e gala des prix Genie à la télévision. Il faut dire que la «prestigieuse» soirée strass et paillettes du cinéma canadien était présentée en exclusivité sur E! et IFC, deux chaînes fréquentées par autant de Québécois que le dernier film de Michael Mabbott, Citizen Duane (un film canadien, puisque vous vous le demandez).

Le cinéma canadien vient de connaître une année exceptionnelle. La lutte serrée aux prix Genie en est la preuve. Away from Her, le grand gagnant de la soirée, est un superbe premier film aux accents bergmaniens, d'une étonnante acuité (Sarah Polley n'a pas 30 ans), sur la vie d'un vieux couple accablé par la maladie d'Alzheimer. Julie Christie y est particulièrement émouvante.

Eastern Promises est l'un des meilleurs films de David Cronenberg. Assez violent et sordide pour ameuter un cabinet ministériel conservateur, sombre et énigmatique, en parfait équilibre entre le réalisme et la caricature. Viggo Mortensen s'y surpasse dans le rôle d'un expatrié russe à Londres, acoquiné à la mafia.

Continental, un film sans fusil, le premier long métrage de Stéphane Lafleur, est fait de fine dentelle. C'est un film subtil, intelligent, soigné, bien interprété, qui devrait logiquement remporter les grands honneurs du gala des Jutra, demain soir.

Ces trois longs métrages, tous en lice dans la catégorie du meilleur film au gala des prix Genie, se retrouvaient dans ma propre liste des 10 meilleurs films de 2007, toutes nationalités confondues. Tout comme Juno, un film réalisé par un Montréalais d'origine (Jason Reitman), mettant en vedette deux acteurs canadiens et tourné à Vancouver, qui n'était pas éligible aux prix Genie parce qu'il a été financé par des Américains.

Away from Her et Eastern Promises, comme Juno, ont été nommés dans plusieurs catégories de pointe aux Oscars. Bref, 2007 fut une année d'exception pour le cinéma canadien. Comment souligne-t-on au Canada cette année d'exception ? En organisant un congrès cheapo à Toronto, digne d'une réunion du Club Optimiste à Etobicoke, et en en diffusant un condensé d'une heure, à 22h, sur l'équivalent canadien anglais de Canal Vox et de Mystère. Bravo (et je ne parle pas de la chaîne culturelle du ROC, qui a au moins l'avantage d'être plus connue que E! et IFC).

Le plus ironique, c'est qu'on ose se demander dans les circonstances, au Canada anglais, pourquoi le cinéma canadien n'intéresse pas davantage le public. Il me semble que c'est assez clair. La CBC regorge-t-elle à ce point d'émissions populaires en soirée qu'elle est incapable de trouver une case dans sa grille pour le seul événement où l'on risque de reconnaître une «vedette» canadienne vivant toujours au Canada? On se console au Québec en se disant que notre gala des Jutra attire, bon an, mal an, un million de téléspectateurs à Radio-Canada. C'est pas tout d'avoir conservé La Soirée du hockey...

Il est minuit, Mme Verner

Mercredi, en préparation d'une chronique sur le projet de loi C-10 du gouvernement conservateur - qui menace de retirer le droit à des crédits d'impôt à des productions qui sont «offensantes» ou «contraires à l'ordre public» selon le jugement discrétionnaire du ministre du Patrimoine - j'ai posé une question à deux porte-parole de la ministre Josée Verner.

Mme Verner prétend depuis le début de la semaine que le projet de loi C-10 ne vise d'aucune manière à limiter la liberté d'expression et ne toucherait que certaines des quelque 1000 productions télévisuelles et cinématographiques bénéficiant tous les ans de crédits d'impôt. Elle prétend aussi que le projet de loi vient combler une «faille» de la loi et remédier à une «absurdité juridique»: un film illégal, dit-elle, pourrait selon la loi actuelle être admissible à des crédits d'impôt.

J'ai demandé mercredi matin aux porte-parole de la ministre quelle était cette «faille», cette «absurdité juridique». La réponse est arrivée jeudi peu avant 18h. Elle était, à la virgule près, celle que j'attendais. Et elle ne m'a pas du tout rassuré. «Le règlement de l'impôt sur le revenu actuel exclut explicitement le financement de la pornographie, m'a confirmé Dominic Gosselin, attaché de presse de la ministre Verner. Il n'exclut pas explicitement, par exemple, le financement des productions qui contiennent du matériel illégal telle la propagande haineuse.»

Depuis le début de la semaine, devant le tollé provoqué par un projet de loi qui ouvre la porte à la censure, la ministre Verner, impassible, prétend que celui-ci a comme objectif de «rassurer les contribuables» qui, dit-elle, ne devraient pas avoir à «financer des films de pornographie juvénile». Ou bien la ministre Verner est mal renseignée par son propre ministère, ou bien elle nous prend pour des imbéciles.

La «faille» dont elle parle est une vue de l'esprit. Même l'interprétation la plus farfelue de la loi de l'impôt sur le revenu ne saurait lui donner le sens que lui donne la ministre. Si le gouvernement conservateur veut explicitement exclure du programme de crédits d'impôt la propagande haineuse ou la violence contre les femmes, il n'a qu'à le faire par décret ministériel, dans le règlement de la loi. Mais à quoi bon? La propagande haineuse, la violence contre les femmes et la pornographie infantile sont déjà interdits par le droit canadien.

La réponse du Ministère, qui contredit les déclarations de la ministre Verner, me confirme ce que je soupçonnais déjà. Le gouvernement Harper, appuyé par des lobbys religieux, tente de nous en passer une petite vite. Espérons que c'est clair pour tout le monde.

Poil à gratter

Le collègue de Cyberpresse Jozef Siroka soulignait jeudi sur son blogue la retraite du réputé critique du Chicago Reader, Jonathan Rosenbaum. J'ai eu l'occasion de côtoyer M. Rosenbaum en 2006, au Festival de Venise. Nous avions tous les deux été invités par la Mostra à donner une conférence sur la distribution du cinéma européen en Amérique du Nord. Je l'avais trouvé très particulier: une drôle de bibitte, dans sa bulle, le physique atypique, les cheveux longs et gras, les lunettes comme deux fonds de bouteille. Voilà le poil à gratter du cinéma américain! m'étais-je dit, alors que nous discutions, avec d'autres, du dernier Gianni Amelio. Jonathan Rosenbaum est un vrai rat de cinéma, comme l'était mon collègue Luc Perreault, dont les opinions à contre-courant ont souvent été contestées, mais dont la crédibilité n'a jamais été mise en doute. On regrettera ses couacs.