Dans les faits, Continental, un film sans fusil sort grand vainqueur de la 10e Soirée des Jutra. Personne ne peut contester un palmarès dans lequel l'excellente comédie dramatique de Stéphane Lafleur recueille les plus beaux lauriers. Tous ses artisans ont d'ailleurs les meilleures raisons du monde de savourer cette victoire. Or, cette consécration cache bien malgré elle une autre histoire, celle à laquelle tous les médias s'intéresseront probablement aujourd'hui: l'absence totale des 3 p'tits cochons parmi les lauréats des prix déterminés par les électeurs des Jutra.

Pourquoi cette absence est-elle plus remarquable que celle de La brunante, l'autre finaliste blanchi? Pour plusieurs raisons. D'abord, parce que les «professionnels de la profession» avaient dans un premier temps jugé le film champion du box-office assez enthousiasmant pour le sélectionner 13 fois. Ensuite, parce que le profil des résultats ressemble à s'y méprendre à celui de l'an dernier, alors que Bon Cop, Bad Cop n'avait pu transformer en statuette qu'une seule de ses 12 nominations (dans la catégorie du montage). Enfin, parce que les deux films invités à participer à la fête pour finalement sortir Gros-Jean comme devant, Bon Cop, Bad Cop l'an dernier et Les 3 p'tits cochons cette année, partagent le même artisan: Patrick Huard. La coïncidence est trop énorme pour ne pas être relevée.

Qu'on me comprenne bien. Je ne dis absolument pas que Les 3 p'tits cochons méritait de gagner quoi que ce soit hier soir. Tous les lauréats ont été judicieusement choisis et méritaient leur trophée, là n'est pas la question. Je trouve en revanche illogique que les membres des différentes associations professionnelles composant le corps électoral célèbrent exagérément un film au premier tour - 13 nominations, ce n'est pas rien - pour ensuite l'ignorer complètement. C'est ce cas de figure que j'ai du mal à comprendre.

C'est un peu comme un gros party de famille pendant lequel on s'oblige à faire la conversation avec le beau-frère que tout le monde déteste. On l'invite pour la forme mais, dans le fond, on prie le ciel qu'il ne veille pas trop tard. Encore moins qu'il vide le bar. Il n'est pas dit que cette édifiante métaphore s'applique dans le cas qui nous occupe, mais ça ressemble à ça.

Un peu comme pour Charles Binamé à l'époque de Séraphin, l'absence de Patrick Huard dans la catégorie de la réalisation, alors que son film a obtenu le plus grand nombre de nominations, avait déjà de quoi étonner. Dans la mesure où, ne l'oublions pas, ce sont les cinéastes qui ont choisi les finalistes. Hier, l'ensemble de la profession en a rajouté une couche. Ils ont «rééquilibré» la surreprésentation du premier long métrage de la star de Bon Cop, Bad Cop en repoussant le balancier complètement du côté opposé. Je ne sais pas pour vous, mais si je faisais partie de l'équipe des 3 p'tits cochons, je serais pas mal déçu. Pour dire le moins. Et si j'étais Patrick Huard, je je je trouverais quand même quelque chose de bien à dire. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait, de façon plutôt élégante, en allant présenter lui-même le Jutra de la meilleure réalisation. Joli clin d'oeil.

On me répondra évidemment que les films populaires sont déjà largement récompensés par le système. Et c'est vrai. Pas plus tard que vendredi, Téléfilm Canada annonçait même l'octroi d'une bourse de 40 000 $ aux «p'tits cochons», une sorte de «prime au succès» remise au réalisateur, de même qu'aux scénaristes Claude Lalonde et Pierre Lamothe.

Et puis, diront les autres, Les 3 p'tits cochons a quand même obtenu hier soir le Billet d'or du film le plus populaire de l'année. Et que c'est déjà beaucoup. C'est tout aussi vrai. Cela dit, ce prix est à peu près aussi sexy que celui de l'album le plus vendu à l'ADISQ.

Un fait, pourtant, demeure. Comme nous l'avons déjà écrit à quelques reprises, les électeurs de la Soirée des Jutra font généralement de bons choix quand vient le moment de consacrer les lauréats. Pourquoi, alors, ne parviennent-ils pas à atteindre autant de sagesse à l'étape de la sélection des finalistes? Il faudrait bien percer ce mystère un jour.

En attendant, dansons en ligne. Et faisons honneur au très beau Continental.