Le jour où il fut annoncé que Michael Haneke allait réaliser lui-même le remake américain de son film Funny Games, les deux bras m'en sont tombés. Ah non quand même! Pas lui? Quand sort une nouvelle comme celle-là, il me revient toujours à la mémoire la mésaventure de George Sluizer, réalisateur de l'un des films les plus terrifiants qu'il m'ait été donné de voir dans ma vie: L'homme qui voulait savoir.

Le cinéaste néerlandais avait en effet entendu le chant des sirènes hollywoodiennes et s'était rendu dans la capitale du cinéma pour aller réaliser lui-même la nouvelle version de son propre film. À l'arrivée, The Vanishing était un thriller américain ridicule qui n'avait pratiquement plus rien à voir le film original. Le réalisateur de La pianiste et de Caché allait-il tomber dans les mêmes pièges?

Que non. La version américaine de Funny Games, qui prend l'affiche aujourd'hui en salle, est aussi dérangeante, aussi puissante, aussi «désagréable» que le film réalisé il y a 11 ans par le même Haneke. Le cinéaste autrichien n'a pas perdu son intégrité en chemin, pas plus que son désir de provoquer, de remettre des choses en question.

Sa vision radicale, et la façon qu'il a de confronter directement le spectateur au thème de la représentation de la violence, sont restées intactes. D'autant plus que Funny Games est une copie conforme du film original. Les séquences, la mise en scène, la musique, tout est pareil. Seuls les acteurs - Naomi Watts, Tim Roth et Michael Pitt en sont maintenant les têtes d'affiche - et la langue dans laquelle les personnages s'expriment ont été changés.

J'ai eu le plaisir de bavarder avec Michael Haneke un peu plus tôt cette semaine. Il était de passage à New York, où il était en train d'assurer la promotion de son nouveau film, le premier qui bénéficiera d'une distribution plus large en terre d'Amérique. Il était fier de son coup. Juste à entendre le son de sa voix au téléphone, une image m'est d'ailleurs spontanément venue à l'esprit: celle du gros matou qui vient de bouffer un canari.

Au beau milieu de l'interview, je n'ai d'ailleurs pu m'empêcher de lui faire remarquer qu'il devait prendre un malin plaisir à proposer ce film-là aux Américains. «Vous n'avez pas idée à quel point, m'a-t-il répondu. J'ai l'impression d'être à l'intérieur du cheval de Troie et qu'ils ne savent pas encore ce qui les attend!»

Son plaisir est d'autant plus immense qu'il avait d'abord conçu à l'époque son film en réaction à la glorification de la violence dans le cinéma populaire.

Or, la situation est aujourd'hui encore pire à ses yeux. Surtout avec l'arrivée d'un sous-genre cinématographique que les Américains appellent maintenant le «torture porn» (Hostel, Saw et compagnie). D'après lui, ce phénomène n'a rien d'innocent. Et le spectateur en est, d'une certaine manière, le complice.

La réflexion que nous force à faire Michael Haneke sur la violence n'est pas du tout plaisante, mais elle se révèle nécessaire. Aussi nécessaire, à vrai dire, que le sont les cinéastes de sa trempe. Rendez-vous dans notre cahier cinéma demain pour en savoir plus.

Petite mise au point

Jamais le Billet d'or n'aura autant fait jaser. Le seul trophée qu'a obtenu Les 3 p'tits cochons à la Soirée des Jutra est celui qui est automatiquement remis à la production ayant généré les meilleures recettes au box-office. Du coup, quelques fins esprits se sont échauffés en disant que certains journalistes «intellos» (coucou!) avaient fait preuve de mépris en minimisant l'importance de ce trophée «remis par le public».

Quelques précisions, ici, s'imposent.

D'abord, le rôle du «public» dans l'attribution de ce prix est limité aux dollars qu'il dépense aux guichets des complexes multisalles. Le spectateur n'est pas sondé comme aux People's Choice Awards ou aux Artis, pas plus qu'il n'est invité à s'exprimer par scrutin comme au gala de l'ADISQ. Autrement dit, le Billet d'or découle d'une simple formalité qui, elle, résulte d'une addition comptable. C'est tout. Le taux de fréquentation d'un film est une chose; la cote de satisfaction en est une autre. Je vous concède volontiers que si le «public» avait été consulté, le résultat aurait probablement été le même cette année. Mais la nature de l'exercice, elle, aurait été différente.

D'ailleurs, mis à part la Bobine d'or à la cérémonie des Génies, il n'existe probablement aucune autre distinction de ce genre dans le monde. Suivant ce principe, Spider Man 3 aurait-il mérité un Oscar spécial?

Même si elles font d'évidence l'envie des producteurs, ces bobines et autres billets dorés n'ont de signification que sur le plan de la réussite commerciale. L'identité des lauréats est en effet connue des semaines, sinon des mois à l'avance. D'où l'absence de tout élément de suspense.

Cela n'enlève évidemment rien au mérite des artisans d'avoir su trouver la manière d'attirer le public dans les salles, mais le fait est que, généralement, l'atmosphère est rarement festive quand vient le moment d'annoncer la production lauréate de ce prix aux Jutra. Pour rendre l'affaire un peu plus sexy, peut-être faudra-t-il l'an prochain faire remettre le Billet d'or par une (ou un) des beautés du Banquier. Le raccord serait parfait.