Voilà qui devrait rassurer Victor-Lévy Beaulieu. Dans l'océan de statistiques dévoilées la semaine dernière par l'Office québécois de la langue française (quelque 1700 pages), il s'en trouve quelques-unes sur le cinéma qui confirment une tendance: la francisation croissante des écrans et du public cinéphile québécois.

Les statistiques sur les projections et l'assistance, compilées par l'OQLF entre 1988 et 2005, démontrent un renversement de la situation du français au cinéma québécois. En 1988, les projections en français et l'assistance à des films en français comptaient pour environ 40% du total dans la grande région de Montréal (et pour la moitié dans l'ensemble du Québec). En 2005, les films en français comptaient pour les deux tiers des projections et de l'assistance dans la région métropolitaine (et les trois quarts au Québec).

Le français l'emporte sur l'ensemble des autres langues au cinéma depuis le milieu des années 90. D'ailleurs, l'assistance et la projection de films en d'autres langues (en particulier l'anglais) a connu une courbe inverse à celle des films en français entre 1988 et 2005, passant d'environ 60% à 35% (voir tableau ci-contre).

La popularité récente du cinéma québécois n'est sans doute pas étrangère à la progression constante du français au grand écran. En 2005, le cinéma québécois a connu un pic de fréquentation, avec des parts de marché frôlant les 20%. Cinq ans plus tôt, sa part du box-office n'était que de 4,5%. La santé du cinéma québécois n'explique cependant pas tout. La plupart des films en français dont il est question dans le bilan quinquennal de l'OQLF sont des films américains doublés.

Si la fréquentation de films en français par des cinéphiles de langue maternelle française a progressé entre 1994 et 2004, toujours selon l'OQLF (de 70% à 75%), on remarque surtout que celle des allophones a suivi à un rythme encore plus soutenu (de 27,5% en 1994 à 33,5 % en 2004).

Aussi, si les cinéphiles de langue maternelle française ont été moins portés en 2004 à voir des films en anglais (9,6%) que 10 ans plus tôt (13,5%), c'est surtout chez les allophones que le désintérêt pour les films en anglais a été le plus marqué. Ils étaient 65% en 1999 à préférer les films en anglais contre 43,6% cinq ans plus tard. En 2004, 22,9% des allophones disaient voir indistinctement des films en français ou en anglais, contrairement à 14,5% cinq ans plus tôt.

Tous ces chiffres nous disent quoi? Que les francophones, comme les allophones, préfèrent de plus en plus les films en français aux films en anglais (la situation des anglophones, qui choisissent les films en anglais à 80%, a peu évolué entre 1994 et 2004). Pourquoi? Parce qu'on maîtrise de moins en moins bien l'anglais au Québec? Parce qu'on est réfractaire aux sous-titres et qu'on préfère le doublage? Je ne saurais le dire (j'ai horreur du doublage). Le rapport de l'OQLF ne nous fournit aucun indice à ce sujet.

Ce qui est clair, en revanche, c'est qu'il y a une corrélation très étroite entre les projections et l'assistance. Plus on projette de films en français, plus les gens vont voir des films en français. C'est ni plus ni moins que le principe de la saucisse Hygrade.

«Il semble enfin qu'une culture à base francophone, qui transcende les dimensions linguistiques, se soit installée, conclut le rapport de l'OQLF sur la langue de consommation des produits culturels (spectacles, musique, cinéma, etc.). On constate en effet une ouverture de plus en plus grande du groupe anglophone à cette culture, les gains les plus manifestes provenant par ailleurs des personnes de langues tierces qui se tournent de plus en plus vers la culture de la majorité.»

Enfin une bonne nouvelle pour VLB.

Violence réelle et fictive

Dans un bateau, deux jeunes dandys meurtriers - rappelant les drougs de A Clockwork Orange - discutent.

«La fiction est pourtant réelle?

- Pourquoi?

- Tu la vois dans le film, non?

- Bien sûr.

- Alors elle est tout aussi réelle que la réalité que tu vois, non?»

Le dialogue, tiré de Funny Games de Michael Haneke, est reproduit tel quel (comme du reste chaque plan de la version originale de 1997) dans le remake américain de ce brillant film-choc, réalisé par Haneke lui-même et à l'affiche depuis hier.

Il résume, en quelques phrases, le postulat philosophique du cinéaste autrichien à propos de la représentation de la violence au cinéma. «Dès lors que l'on fait de la violence une marchandise à consommer, on la banalise», a-t-il dit cette semaine à mon collègue Marc-André Lussier.

La thèse de Haneke est aux antipodes de celle de son confrère David Cronenberg, qui a déclaré lors de la présentation à Cannes de A History of Violence que «pour qu'on ait l'impression qu'elle est réelle, la violence doit être explicite, physique, horrible». Deux cinéastes, deux visions.

Contrairement à Cronenberg, Haneke ne filme pas la violence de front. Il filme la tension qui l'accompagne. Il s'intéresse à ses effets (le désespoir, la culpabilité, la peur, la perte, le sentiment de vengeance) autant qu'aux effets de sa représentation par différents procédés. C'était vrai dans Caché comme dans La pianiste, dans Code inconnu comme dans Benny's Video. C'est on ne peut plus clair dans les deux versions pratiquement identiques (et tout aussi troublantes) de Funny Games.

«Un film est toujours une manipulation du spectateur, que ce soit un film biographique ou une comédie romantique, a-t-il confié en septembre au New York Times Magazine. (...) Le plus terrible, c'est lorsqu'un film prétend n'être qu'un divertissement. Le public ne réalise pas alors que le message est caché.»

À méditer.