Évaluations sommaires, décisions incohérentes, gestion erratique, règles floues, absence de suivi: le constat qu'a fait la semaine dernière le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, de l'état du soutien financier public aux entreprises culturelles n'est guère rassurant. Son rapport est particulièrement accablant pour la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) en ce qui concerne la gestion de l'aide au cinéma.

Selon le vérificateur général, la SODEC exerce des responsabilités fiscales sans y être habilitée, devrait exiger une uniformité dans les rapports financiers que les entreprises lui fournissent, ne fait pas preuve d'une transparence suffisante dans l'évaluation des demandes d'aide à la production, ne s'assure pas que les conditions d'admissibilité des entreprises soient satisfaites ni que ses décisions sur les projets et les montants d'aide soient bien étayées.

Ce que l'on remarque de notre côté, en lisant attentivement le chapitre 5 du tome III du rapport du vérificateur général, c'est que la production cinématographique au Québec obéit à des règles plus ou moins arbitraires.

Le vérificateur général a constaté que des producteurs investissaient très peu, voire pas du tout dans certains longs métrages de fiction. Le vérificateur donne l'exemple de deux films à grand budget (plusieurs millions de dollars) dont la part d'investissement du producteur (qui n'est pas identifié) a compté pour 0,36% et 0% des coûts totaux de production.

Dans ce dernier cas, précise son rapport, le producteur devait investir 4,3% des sommes nécessaires (la moyenne se situant autour de 3%). Lorsque les coûts de production ont été revus à la hausse, il a obtenu d'autres sources de financement, a demandé une aide additionnelle de 77 000$ à la SODEC... et a trouvé le moyen de ne pas investir un sou de sa poche.

«Il arrive que des producteurs ne prennent en charge pratiquement aucun risque financier», conclut le vérificateur général. Bref, on a raison de croire que tous les producteurs ne mettent pas «l'argent à l'écran», comme dirait Fabienne Larouche. On se demande d'ailleurs où se retrouve cet argent. Quel est le rôle d'un producteur qui n'investit rien et ne risque rien, sinon celui d'un intermédiaire qui s'enrichit sans peine avec des fonds publics?

Tous les producteurs ne sont évidemment pas à mettre dans le même sac (ou la main dans le sac). Les producteurs de longs métrages de fiction à budgets modestes (autour de ou moins de 1 million de dollars) investissent généralement davantage dans leurs films, toutes proportions gardées (plus de 8% dans certains cas), selon le vérificateur général.

N'empêche que la situation demeure absurde. Surtout qu'il est question de fonds publics (un film québécois coûte en moyenne 3,1 millions de dollars) et que l'un des objectifs du programme d'aide à la production est justement «d'établir un meilleur équilibre dans le partage des risques financiers entre les différents investisseurs». À zéro dollar d'investissement, on ne peut parler d'équilibre.

Dans le contexte d'un cinéma fortement subventionné (à hauteur de 80%), qui fait rarement ses frais, on est en droit de se demander comment un producteur peut s'enrichir sans assumer la moindre part de risque. Une question de comptabilité inventive et d'interprétation toute sauf restrictive des lois et règlements, semble-t-il.

Il n'existe pas d'exigence minimale concernant la part d'investissement d'un producteur dans un film québécois. Aussi, il y a très peu de suivi des sommes allouées par les différentes institutions (SODEC, Téléfilm Canada) pour la production d'un film. Dans son rapport, le vérificateur général recommande à la SODEC de faire davantage de vérifications auprès des producteurs pour s'assurer que ceux-ci «assument une part appropriée des risques» et remboursent les sommes (minimes) qui lui sont dues.

Le vérificateur général reproche notamment à la SODEC de ne pas questionner les producteurs sur les dépenses de distribution «qui pourraient lui paraître exagérées», en donnant l'exemple d'un distributeur qui a chiffré son budget de promotion à 4,2 millions (sur un budget de production total de 8 millions), alors que la somme consentie par la SODEC à cette fin était plutôt de 1 million. Pour ce film, la SODEC n'a récupéré que 13000$.

Le rapport n'épargne pas davantage Revenu Québec, qui ne fait pas les vérifications nécessaires en ce qui concerne les frais d'administration déclarés par les producteurs. Les producteurs affectent d'ordinaire à leurs projets des frais administratifs équivalant à 10% des dépenses de tournage et de postproduction. Depuis 2001, ceux-ci doivent viser un film en particulier. Or, pour six longs métrages totalisant 2,5 millions en frais administratifs liés à la production, le vérificateur général a été incapable d'établir ce lien selon les informations obtenues. Sous le vocable «frais administratifs», certains producteurs font passer bien des dépenses, au nom de bien des films.

Le dernier rapport du vérificateur général nous confirme des pratiques dont on se doutait depuis un moment. Espérons qu'il sera l'occasion d'une réflexion sur la manière dont certaines sommes sont utilisées pour financer les films québécois. Et le prétexte à un éventuel grand ménage dont notre industrie cinématographique semble avoir bien besoin.