C'était au Zoo Palast, l'ancien quartier général du Festival de Berlin. Début février 2001. Une bruine d'hiver. Un froid de canard. Je suis sorti très vite du cinéma par l'escalier du côté, en retenant mes larmes. J'ai pleuré en mettant le pied sur le trottoir, pour une raison que je ne m'explique pas encore.

J'ai un souvenir plus vif de l'émotion ressentie en voyant Lost and Delirious, de Léa Pool, ce soir-là, que du film lui-même. Une histoire d'amour entre étudiantes qui finit mal, avec Jessica Paré et Piper Perabo. Je ne saurais en dire beaucoup plus.

J'ai aimé Lost and Delirious, comme j'ai aimé la plupart des films de Léa Pool, pour une raison qui n'a rien de rationnel: l'émotion. Pas le racolage sentimental, pas le tire-jus pathétique. Juste l'émotion. L'émotion juste.

Léa Pool sait mettre en scène un récit. Elle a un oeil de cinéaste, ce qui n'est pas donné à tous les réalisateurs pratiquant le métier. Mais ce qu'elle a pour moi de plus précieux, c'est sa capacité à transmettre une émotion par le langage cinématographique. C'est un don. Je le dis sérieusement, sans vouloir paraître new age.

Il suffit de peu de chose pour rater son coup, pour passer à côté. D'une scène trop appuyée, d'un dialogue plaqué, d'une mauvaise interprétation. Ce qui est étrange dans le cinéma de Léa Pool, c'est qu'il n'est pas exempt de fausses notes. C'est un cinéma incontestablement imparfait. Et pourtant, toujours si juste dans l'émotion.

C'était vrai de La femme de l'hôtel, d'Anne Trister et d'À corps perdu. C'était vrai d'Emporte-moi et même de Mouvements du désir, plein de défauts que j'ai tout de suite embrassés. Le signe que j'ai un rapport particulier à l'oeuvre de Léa Pool.

Je n'ai pas pleuré cette semaine en sortant de Maman est chez le coiffeur, qui doit prendre l'affiche vendredi prochain (ça m'arrive rarement quand même). Malgré quelques ratés (la qualité du jeu des acteurs est inégale), j'ai été ému par ce très beau film sur l'enfance, la famille, les faux-semblants et la perte de l'innocence. Ému de manière générale par un ensemble de détails très précis: le vent dans le champ de maïs, les robes fleuries, la bande à vélo, le regard du petit, le cran de sa soeur (Marianne Fortier, formidable), une chanson de Patrick Watson interprétée par un enfant.

Pourquoi donc? Je ne sais pas. Je ne saurais l'expliquer. C'est peut-être simplement que j'ai un faible pour Léa Pool.

À suivre

Il y a des cinéastes «à suivre». Fatih Akin est de ceux-là. Propulsé au-devant de la scène internationale grâce à Head-On, Ours d'or du Festival de Berlin en 2003, ce cinéaste allemand né de parents turcs embrasse sa culture d'origine avec une acuité hors du commun.

Son documentaire sur la musique turque, Crossing the Bridge (2005), était une ode aux sonorités d'Istanbul. De l'autre côté, Prix du meilleur scénario au dernier Festival de Cannes, chassé-croisé entre l'Allemagne et la Turquie, poursuit la démarche entamée avec Head-On sur la quête des origines, la filiation et l'affirmation de soi.

Également à l'affiche vendredi prochain, ce film de facture classique, intelligent, parfaitement dosé, d'une grande subtilité, met en scène la grande Hanna Schygulla, muse de Fassbinder, dans le rôle d'une mère blessée. Fatih Akin n'a que 35 ans. À suivre, que je disais.

Mon ami ce blogueur

Je ne connais pas de cinéphile plus maniaque, de critique plus passionné, que mon collègue Marc-André Lussier. Ce héros très discret de la cinéphilie vit pour le cinéma. Il respire 24 fois seconde. Il dévore dans une année pratiquement autant de films qu'il y a de jours. Il préfère la salle obscure au soleil d'été, la pellicule à la canicule.

Lorsqu'il prend de rares vacances, c'est pour rattraper les films - de tous les genres - qu'il n'a pas eu le temps de voir. Il ne lève le nez ni sur un film d'auteur exigeant, ni sur une comédie populaire hollywoodienne. C'est un champion du cinéma québécois, qu'il connaît sur le bout des doigts.

En voyage, il se réserve toujours du temps pour les films susceptibles de prendre un jour l'affiche chez nous (ainsi que pour ceux dont on n'entendra jamais parler). Sa collection de DVD est truffée de raretés, dans des formats illisibles sur des lecteurs conventionnels. Il est mieux équipé à la maison pour voir des films que certaines salles de projection dites «professionnelles».

Il n'a pas hésité, un jour, à faire 500 km en voiture pour interviewer son idole Catherine Deneuve à Toronto. Il a rencontré toutes les plus grandes stars du 7e art (et quantité de starlettes dont on a oublié le nom; pas lui). Il est incollable sur les cinématographies de cinéastes parmi les plus obscurs, se souvient en détail de tous les festivals qu'il a fréquentés (ou pas) et tient le calendrier le plus complet au Québec des sorties en salle et projections de presse de films.

Je l'envie un peu d'aller à Cannes dans quelques semaines, pour toutes les perles qu'il va y découvrir. Je ne l'envie pas du tout d'entreprendre ce marathon insoupçonné de travail, sur les pavés de la Croisette, dans les salles de cinéma et de conférence bondées, plutôt que sur la plage (contrairement à la croyance populaire). Ce bourreau de travail ne se satisfera de rien de moins que de la couverture la plus complète de l'événement.

J'espère qu'il trouvera le temps de dormir. D'autant plus qu'il a eu la folle idée de devenir blogueur (depuis hier) sur Cyberpresse (cyberpresse.ca/lussier). Je m'en réjouis comme d'ailleurs tous les cinéphiles. Mais je m'inquiète un peu pour ta santé, Marc-André. Mon conseil d'ami: un dimanche sur quatre, congé de film. Pourras-tu t'en empêcher?