C'était l'an dernier au Festival de Cannes. L'une des conférences de presse les plus courues fut celle organisée à l'occasion de la présentation officielle de Chacun son cinéma.

Trente-trois des 35 cinéastes ayant participé à ce film collectif, mis sur pied à l'occasion du 60e anniversaire du festival, étaient pour l'occasion réunis sur la scène de la salle Buñuel, au cinquième étage du Palais des Festivals, devant quelques centaines de journalistes. Ils y étaient tous: Atom Egoyan, Manoel de Oliveira, Wong Kar-wai, Cronenberg, Inarritu, Wenders, Moretti, les Coen, les Dardenne, bref, le gratin du cinéma international s'offrait à nous.

Puis, quelques distingués représentants de la faune journalistique commencent à poser des questions. Toutes plus insipides les unes que les autres. Certaines d'entre elles sont carrément insultantes tellement elles reflètent une profonde ignorance des créateurs à qui elles sont adressées, et du septième art en général. On se demande par quel miracle les gens qui posent ce genre de questions parviennent à se faire accréditer dans le plus grand festival de cinéma du monde. C'est un peu comme si on dépêchait à la ronde finale du Tournoi des Maîtres quelqu'un qui confond Tiger Woods et Mike Tyson. Ou, au sommet du G8, un scribouillard qui ne pourrait pas distinguer Nicolas Sarkozy de Stephen Harper. Quand Polanski s'est fait demander par une journaliste asiatique s'il préférait tourner aux États-Unis plutôt qu'en Europe, ce fut la goutte qui a fait déborder le vase. Sidéré, le réalisateur du Pianiste, qui n'a pas tourné en Amérique depuis 34 ans, a alors suggéré qu'on coupe court à la conférence.

«C'est une occasion unique, vraiment rare, d'avoir une telle assemblée de metteurs en scène importants, pour discuter, face à un public de critiques, a-t-il dit. Je n'en reviens pas que vos questions soient aussi pauvres! Je crois que l'emploi de l'ordinateur vous a abaissés à ce niveau. C'est pour ça que vous en savez vraiment si peu sur nous. Alors, franchement, allons plutôt bouffer!» Sur ce, le cinéaste, assis au beau milieu de la scène, s'est levé. Et il est sorti. En voyant Polanski se rebiffer de la sorte, les 32 autres réalisateurs ont hésité un moment en se demandant s'ils ne devaient pas le suivre. Aucun n'a osé. Ils auraient pourtant eu mille fois raison de le faire.

Cet épisode m'est revenu en tête, car on parle beaucoup de la pratique du métier de journaliste de cinéma ces temps-ci. Le titre qui coiffe cette chronique n'est d'ailleurs pas de moi. Il provient plutôt d'un article du New York Times publié le mois dernier. Le journaliste David Carr y brossait un portrait plutôt sombre de l'avenir de la critique cinématographique dans les journaux. À la suite du congédiement récent de Nathan Lee, l'éminent chroniqueur du Village Voice, et du départ de plusieurs autres critiques dans d'autres publications (dont celle de David Ansen du Newsweek), Carr y est allé de son analyse. Sans entrer dans les détails, disons qu'il a notamment évoqué les profonds changements qui se sont opérés dans les entreprises de presse américaines au cours des dernières années.

Du côté de la France, un pays de cinéphiles, le portrait n'est guère plus rose. À l'heure où vous lisez ces lignes, Les Cahiers du cinéma n'ont toujours pas de repreneur. Le célèbre magazine risque de mourir au bout de son encre, emprisonnant dans ses coffres l'esprit de toute une génération de critiques et de cinéastes qui, il y a maintenant très longtemps il est vrai, ont lancé la Nouvelle vague.

De tout temps, la pertinence de la critique dans le paysage médiatique a suscité de vives discussions. Or, la crise qui secoue aujourd'hui la profession jette les bases d'une nouvelle donne. On ne se questionne même plus sur la pertinence de la critique; on remet carrément en cause son existence. De plus en plus, la critique dite «sérieuse» sera confinée au web, complètement perdue dans le trafic, ou dans les rares magazines spécialisés dont la pérennité ne sera pourtant jamais acquise.

Contrairement à leurs collègues américains et français, les chroniqueurs québécois spécialisés en cinéma portent depuis longtemps plusieurs casquettes. Même à l'époque où mon regretté collègue Luc Perreault a commencé sa carrière, dans les années 60, les journalistes devaient déjà mener des interviews, réaliser des reportages, et ensuite rédiger leur critique. Peut-être cette polyvalence a-t-elle, d'une certaine manière, assuré leur survie. Du moins, j'ose l'espérer.

Je ne sais trop quel est l'avenir de la critique au Québec. Personne ne le sait. Mais le fait est que la façon dont nous traitons le cinéma dans les grands médias s'est transformée au fil des ans. La vitesse avec laquelle les productions se succèdent sur les écrans fait aussi en sorte que nous ne «consommons» plus les films de la même façon non plus. Le cinéma étant désormais très facilement accessible sur toutes sortes de plateformes, le visionnement d'une oeuvre n'est plus assujetti à un caractère événementiel.

Dans un tel contexte, y aura-t-il encore de l'espace pour un vrai débat critique? Le dossier est à suivre. En toute objectivité bien sûr.