Assez fort pour lui, mais conçu pour elle. J'ai toujours trouvé que le slogan publicitaire de l'antisudorifique Secret collait bien à la série Sex and the City. Mais j'ai toujours trouvé injuste qu'on la décrive exclusivement comme une série «pour filles». Il n'y aurait que les filles pour apprécier l'humour caustique de Miranda, les propos salaces de Samantha, les faux-pas de Carrie et la candeur proverbiale de Charlotte?

En voyant Sex and the City - le film, lundi, j'ai pourtant eu un doute. Après 45 minutes, je me suis demandé ce que je faisais en compagnie de dizaines de femmes fébriles, les yeux écarquillés de bonheur devant ce qui me semblait relever davantage du spot publicitaire efficace pour acheteuses compulsives que de l'oeuvre cinématographique stricto sensu.

Où est passé mon Sex and the City? me suis-je demandé, en me remémorant la série brillante que j'avais dévorée il y a quelques années, jusqu'à «écouter» avec ma blonde le dernier épisode en vacances aux États-Unis, sans pouvoir en apprécier les images (HBO était brouillé). Où sont donc disparus le cynisme de Miranda, l'humour involontaire de Charlotte, l'appétit sexuel de Samantha et les réflexions tragicomiques de Carrie? Au New Jersey?

Qu'est-ce que ce bonbon acidulé, cet ersatz édulcoré, ce mauvais rêve de princesse qui attend son prince non seulement charmant mais multimillionnaire dans sa robe de mariage Vivienne Westwood? «Where's the beef?» me suis-je demandé, comme autrefois la vieille dame des pubs de Wendy's. Il n'y en a que trop peu dans ce film, non pas «pour filles», mais certainement pour femmes nostalgiques du temps où elles habillaient leur poupée Barbie en simulant un mariage avec le beau Ken (de préférence à la basilique Notre-Dame, avec une longue traîne, le chameau en option).

Je m'en confesse, je n'ai jamais regardé Sex and the City pour les robes. Je ne suis pas insensible à la haute couture, une forme d'art en soi, mais j'ai toujours trouvé que Carrie Bradshaw s'habillait comme la chienne à Jacques (qui n'est pas un célèbre couturier français). Je ne dois pas avoir l'oeil assez aiguisé. La mode, du reste, a toujours été accessoire à la série télé. Manolo Blahnik, un running gag. Les sacs à main griffés, un objet de désir. Vogue, un magazine dont on pouvait parler sans en faire la promotion éhontée.

Dans Sex and the City - le film, il n'y a plus de running gag. Que des placements de produits ostentatoires. Les filles sont toujours habillées comme si elles étaient en route vers le Bal de la Jonquille ou la prestation de serment d'un ministre conservateur, même lorsqu'elles sont à la maison à s'empiffrer de chop suey. On les croirait à tout moment sorties d'un magazine de mode (90% de pub, 10% de contenu), tellement les marques de leurs vêtements et accessoires sont volontairement identifiées.

Sex and the City, il ne fait pas de doute, a vendu son âme aux publicitaires. Dans son incarnation télévisuelle, les marques n'ont jamais menacé de prendre le dessus sur l'intrigue. Le film, quant à lui, est une orgie de guenilles déguisée en scénario de film. Tout ça au détriment de personnages méconnaissables, désincarnés, ne trouvant plus d'assise dans un New York réel mais dans un conte de fées pour quadragénaires embourgeoisées.

Carrie Bradshaw ne rêve plus désormais du grand amour mais d'un placard aussi grand que le vestiaire des Yankees, pouvant contenir plus de chaussures que n'en possède Imelda Marcos. Depuis quand cette femme spirituelle est-elle devenue si vaine? Les filles de la bande ne parlent pratiquement plus de sexe, mais elles se sont mises à racoler, devenant les panneaux-réclames de marques que seule une minorité peut se payer.

C'est peut-être mon vieux fond bolchevique, mais je trouve que Sex and the City - la série, qu'on pourrait confondre avec un manifeste éloquent sur l'émancipation de la femme, s'est transformé au cinéma en ode au consumérisme et à la superficialité. Deux heures vingt d'une intrigue ténue et archi prévisible, enrobée dans un scénario hollywoodien archétypal, au service d'un seul dessein: donner envie à la femme moyenne de s'acheter des objets dont elle n'a pas les moyens.

Heureusement, parmi les calories vides, il y a quelques répliques bien senties, quelques dialogues truculents, quelques scènes drolatiques pour nous rappeler pourquoi nous aimions Sex and the City au départ. Au mieux, ce film est un divertissement léger pouvant être apprécié en avion vers une destination hors de prix. Il aurait pu, entre de meilleures mains, être tellement plus intéressant.

C'est dommage. Car Sex and the City - la série avait posé les jalons d'une télé moins crispée, à des lieues des dialogues invraisemblablement proprets de sitcoms comme Friends ou même Seinfeld. Avant Sex and the City et la révolution HBO, on ne pouvait dire «fuck» à la télé américaine, encore moins le pratiquer. Carrie et ses amies ont permis d'injecter un peu de réalisme au petit écran. Samantha Jones est apparue en croqueuse d'hommes impénitente, portant le sein haut et fier. Ce fut une bouffée d'air frais.

En comparaison, Sex and the City - le film est suspicieusement sage, consensuel, et verse plus d'une fois dans les bons sentiments. La bande ludique que l'on a connue jadis n'est plus que l'ombre d'elle-même. Samantha est pratiquement en panne de libido, Charlotte se complaît dans un bonheur sans aspérités, Miranda a perdu son humour décapant quelque part entre Manhattan et Brooklyn, et Carrie est plus matérialiste qu'elle ne l'a jamais été. Heureusement qu'il nous reste la série en DVD.