«Imagine-t-on les journalistes français évoquer ce que La Presse ou Voir a pensé d'un film de Claude Miller? Non, les Français ne se préoccupent pas du goût des autres. Ils font le goût. Les Américains pareillement. Nous, on s'en préoccupe. Pire, on est obsédés par le regard d'autrui.»

Cette citation, tirée de l'ouvrage que vient de consacrer Hélène de Billy sur la présence québécoise au Festival de Cannes *, est de Denys Arcand. Elle illustre bien la dynamique un peu étrange qui caractérise nos rapports avec les médias étrangers, particulièrement français.

La couverture qu'a obtenue le 400e anniversaire de Québec dans la presse hexagonale - et les incidents diplomatiques qui en ont découlé - ont justement cristallisé la nature bizarroïde de ces rapports. Qui fait sans doute écho à ce besoin viscéral - et collectif - que nous avons d'exister dans le regard des autres.

«L'effet est tout à l'opposé de celui souhaité, me disait pourtant cette semaine Marie-Josée Croze. Au lieu d'avoir notre propre réflexion, on préfère répéter ce que les autres racontent. C'est vraiment très curieux. Cela crée un décalage constant.»

Quand ils prennent connaissance de ce que les médias d'ici rapportent, les artistes québécois qui connaissent beaucoup de succès outre-Atlantique ressentent parfois un certain malaise. «On ne peut nier que cela comporte des avantages, a commenté Stéphane Rousseau la semaine dernière quand j'ai soulevé la question avec lui. En revanche, j'ai parfois l'impression que certains médias québécois prennent plaisir à s'acharner dès qu'un truc plus négatif sur nous est publié en France. Dans tous les articles qu'on a pu lire là-bas à propos d'Astérix aux Jeux olympiques, je n'ai vu mon nom qu'à deux reprises. Et c'est tout à fait normal. Les critiques français ont bien mieux à faire que de s'attarder à ma personne quand il y a des noms comme Delon, Depardieu et Poelvoorde au générique du même film. Or, ces deux articles ont fait les manchettes au Québec d'une façon vraiment disproportionnée. Et on y a fait écho de façon insistante.»

Là-dessus, on se doit de donner un peu raison à l'interprète d'Alafolix. Même si toutes les vedettes de la superproduction française sont passées dans le tordeur, il reste que Rousseau en incarnait ici l'image. Il est aussi vrai que le moindre petit article, même dans une publication insignifiante, trouve chez nous un écho. Ajoutez à cela la concurrence féroce que se livrent les médias, la surenchère dans laquelle ils tombent parfois (bon d'accord; souvent!), et vous obtenez, de temps à autre, quelques gros titres.

Réflexe de colonisés? Certains le croient. Cela dit, il convient quand même de remettre les choses en perspective un peu. La France surpassant de très loin les autres pays francophones sur le simple plan démographique, il y aura toujours un grand déséquilibre à cet égard. L'accès aux médias français dont dispose les Québécois ne sera jamais réciproque. Vous désirez vous procurer Le Monde, L'Express, Libé ou Le Nouvel Obs à Montréal? Rien de plus simple. Il suffit de se présenter dans un kiosque à journaux. Vous êtes à Paris et vous aimeriez lire La Presse? N'y pensez même pas. Le plus grand quotidien français d'Amérique y est introuvable.

Oui mais l'internet? direz-vous. Rien à voir. Êtes-vous déjà allé volontairement sur le site web d'un journal dont vous n'avez jamais entendu parler? L'absence d'échos en provenance des publications suisses ou belges chez nous indique d'ailleurs bien à quel point les plus petits pays ont du mal à faire leur place dans l'espace francophone. Question de notoriété, de réputation.

Aussi, les artisans du cinéma québécois qui existent vraiment dans le paysage médiatique français ont été si rares au fil des ans que nous sommes portés à suivre leurs moindres faits et gestes. Denys Arcand, Carole Laure, Marie-Josée Croze, Stéphane Rousseau, Anthony Kavanagh bientôt (dans Agathe Cléry de Chatiliez).

C'est l'esprit de la tribu. Ou de la ruche, si vous préférez. Celui qui fait en sorte qu'on veut voir comment se comporte l'un des nôtres une fois propulsé dans le grand monde. Celui qui, aussi, nous pousse à toujours nous déplacer en meute pour assister en témoin au triomphe - ou à la chute - de l'enfant du pays.

Au Festival de Cannes l'an dernier, j'ai bien vu sourire nos collègues européens qui tentaient de comprendre pourquoi les membres de l'équipe de L'âge des ténèbres s'étaient présentés en si grand nombre. Au point où les comédiens ont même occupé la première rangée des sièges réservés aux journalistes lors de la conférence de presse.

«Oh c'est culturel, que je leur ai dit. Nous, on sort en gang de notre ruche ou on ne sort pas!»

C'est bien à ce moment que je les ai entendus penser : Non mais, ils seraient pas un peu fous, ces Québécois?

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* Cinéma du Québec à Cannes : 1947 - 2007 - Éditions La Presse.