Comme l'ont probablement fait des milliers d'internautes, j'ai téléchargé cette semaine le nouveau pamphlet de Michael Moore légalement et gratuitement.

Slacker Uprising, qui fut présenté au Festival de Toronto l'an dernier sous le titre Captain Mike Across America, n'est pas un très bon film, cela dit. Immense exercice d'autosatisfaction, ce document ne constitue qu'un enchaînement de scènes plus ou moins édifiantes dans lesquelles le cinéaste trublion se met lui-même en scène, aidé en cela par de nombreux sympathisants.

Nous ramenant à l'élection présidentielle de 2004, Moore relate dans son film la tournée qu'il avait effectuée alors à travers l'Amérique - 62 villes en 45 jours! - afin d'inciter les jeunes à aller s'inscrire sur les listes électorales et à exercer leur droit de vote. Souvent présenté en des termes très élogieux par les vedettes qui l'accompagnent le temps d'une soirée - Viggo Mortensen, Eddie Vedder, Michael Stipes, Roseanne Barr, etc. -, le cinéaste a arpenté les scènes de nombreux amphithéâtres. Chaque fois, il a harangué les foules en martelant son message anti-Bush.

Très habile, le réalisateur de Fahrenheit 9/11 donne aussi la parole à ses détracteurs. Les meilleures séquences sont d'ailleurs celles où des factions fondamentalistes religieuses tentent de saboter la bonne marche de son spectacle. «Les républicains ont Dieu de leur côté; nous, on a juste Ben Affleck!» dit celui qui, aux yeux de certains, est l'incarnation du Mal. «Mais nous ne vous empêcherons jamais de vous marier entre vous!» lance-t-il aussi à ces suppôts de Bush.

Je suis fou de cinéma. Je suis aussi maniaque de politique américaine. Dès que mon emploi du temps le permet, je me retrouve scotché aux chaînes de nouvelles continues. Campbell Brown, Rachel Maddow, Chris Matthews, Keith Olbermann et Anderson Cooper, celui pour qui tous les hommes à la chevelure grisonnante devraient ériger une statue et ensuite la vénérer quotidiennement, sont mes intimes. Dès que je pose le pied aux États-Unis, je me branche même sur Fox News Channel, c'est dire. Aux yeux des Sean Hannety et des Bill O'Reilly de ce monde, notre beige Stephen Harper doit d'ailleurs bien passer pour un vil communiste. Et André Arthur pour un modèle de finesse et de subtilité. Mes dimanches matin sont aussi consacrés à l'écoute des émissions d'affaires publiques des grands réseaux. Oui, je suis un peu compulsif.

À quelques heures du premier débat présidentiel, autour duquel j'ai évidemment organisé le programme de ma journée, je ne peux m'empêcher de penser que cinéma et politique ne font pas toujours bon ménage. Du moins, plus maintenant dans le cas de Moore. À part prêcher pour les convertis, qu'ils se situent d'un côté ou de l'autre de la frontière idéologique, en quoi une production comme Slacker Uprising contribue-t-elle au débat? Bowling for Columbine ou Fahrenheit 9/11, en dépit d'un discours très orienté et d'un manichéisme parfois gênant, offraient tout de même un semblant d'approche journalistique. En revanche, Slacker Uprising s'inscrit plus comme une formule; ou plutôt, comme une façon pour Michael Moore de rester à l'avant-scène d'un espace politique fragile où les allégeances des électeurs semblent encore très volatiles.

J'ai discuté de cet aspect des choses récemment avec Bill Maher, le célèbre satiriste américain, dont nous publierons une entrevue demain. Alors que son film Religulous s'apprête à prendre l'affiche partout en Amérique du Nord, à un mois de l'élection présidentielle, ce pourfendeur de la droite républicaine ne s'attend pas à ce que son brûlot antireligieux ait le moindre impact sur le résultat du scrutin. «En fait, pas du tout, m'a-t-il dit. Il y en a qui, déjà, craignent un effet de ressac et m'accusent de faire le jeu des républicains. Ces gens-là surestiment grandement mon pouvoir!»

De la même manière que les spectateurs de droite savoureront chaque gag d'An American Carol, un film de David Zucker (The Naked Gun, Scary Movie) dans lequel on se paie la gueule de Michael Moore et de ses amis de la «gau-gauche», ceux qui téléchargeront Slacker Uprising, ou qui iront voir Religulous (et, bientôt, le fameux W. d'Oliver Stone), seront tout simplement confortés dans leurs positions, tributaires d'une formule qui commence à s'essouffler sérieusement.

Une série remarquable

Au coeur d'une rentrée télévisuelle automnale pour le moins effervescente, il convient de souligner l'arrivée d'une série d'exception sur le cinéma. Diffusée depuis maintenant trois semaines sur les ondes de Télé-Québec (première diffusion le mercredi à 21 h), la série Cinéma québécois, scénarisée et réalisée par le journaliste Georges Privet, est certes l'une des plus ambitieuses à avoir jamais été produites chez nous. De mémoire de cinéphile, il faut en effet remonter à loin, très loin même, peut-être jusqu'à Palme d'or dans les années 80 (une série présentée par Carole Laure sur l'histoire du cinéma mondial), pour trouver chez l'un de nos diffuseurs une série documentaire du genre, présentée, dans ce cas-ci, en 13 émissions. On ne peut qu'applaudir. Je vous invite d'ailleurs à lire la chronique que l'ami Cassivi consacre à cette excellente série dans notre cahier Cinéma demain. En attendant, allez faire un tour sur le site cinemaquebecois.telequebec.tv. De belles découvertes vous y attendent.