Mercredi, c'était le «jour du Canada» pour Oliver Stone. À la fin de son parcours promotionnel menant à la sortie de W. (en salle aujourd'hui), le cinéaste recevait à tour de rôle deux journalistes montréalais et deux journalistes torontois dans une salle de conférence impersonnelle, logée au quatrième sous-sol d'un hôtel cinq étoiles de Manhattan.

Visiblement, il n'aimait pas cet endroit froid et sans lumière. Il a souri quand je lui ai appris que des élections générales avaient eu lieu tout juste la veille chez nous. «Sans blague! Putain, je n'ai absolument rien lu là-dessus dans les journaux ce matin! Pauvre Canada! On ne parle pratiquement jamais de vous ici!»

Depuis des semaines, Oliver Stone explique sa démarche à tous les médias américains, répondant toujours à peu près aux mêmes questions, en y mettant sa conviction habituelle, et en évitant d'utiliser la langue de bois. Invité à l'émission de Bill Maher sur HBO, Stone a même déclaré que si George W. Bush était allé au Vietnam combattre comme lui sur le terrain, il y serait probablement mort.

Maher et son public se sont spontanément mis à rire, mais la déclaration, elle, était des plus sérieuses. L'expérience de la guerre du Vietnam, on le comprend, a profondément marqué le cinéaste. Et façonné tout son système de valeurs. Je n'ai pas compté les fois où le mot Vietnam est revenu au cours des 20 minutes de conversation que j'ai eues seul à seul avec lui. Point n'est besoin pourtant d'être fin psychologue pour deviner que ce violent traumatisme le hante encore.

S'il s'est attardé au parcours de «Dubya», c'est justement pour faire écho à l'escalade militaire qui, sous la présidence de l'actuel locataire de la Maison-Blanche, s'est accentuée au point de ne plus pouvoir s'arrêter.

«Trois guerres! lance Stone. Trois putains de guerre en même temps! L'Afghanistan, l'Irak, la guerre au terrorisme. L'Iran est désormais dans le collimateur. Et pour couronner le tout, on doit subir la fameuse doctrine Bush! Mais que faisons-nous de notre supériorité militaire? À quoi sert-elle? Nous devrions discuter de ces questions-là dans le débat public. Oui les changements climatiques, oui les droits des gais, oui l'accès à l'avortement. Mais avant toute chose, nous devrions discuter de guerre et de paix.

«Ce sont à mon sens les enjeux les plus fondamentaux. J'ai connu la guerre. J'y étais. Je sais ce que c'est. Je connais l'odeur d'un corps qui brûle, je sais à quoi ressemble un corps démembré à la suite de l'explosion d'une grenade. Plusieurs vétérans voient comme moi ce qui se passe en Irak et nous sommes stupéfaits de constater comment nous sommes entrés là de façon aussi irresponsable que nous l'avions fait au Vietnam. Une guerre, ça détruit les cultures et ça enlève toute option, toute notion de discussion. Ça m'enrage!»

Dans la foulée des questions soulevées justement par Bill Maher dans son film Religulous, j'ai notamment entraîné Oliver Stone sur le terrain de la religion. George W. Bush est en effet, probablement, le président dont les politiques ont été le plus ouvertement menées par sa foi. Le cinéaste reconnaît évidemment la nature explosive du mélange entre l'Église et l'État, mais il estime que cette proximité ne date pas d'hier.

«Nixon aussi était très mené par sa foi, fait-il remarquer. Je ne doute pas du tout que Bush soit un bon chrétien, un homme de famille avec de bonnes valeurs personnelles. L'ennui, c'est que son attitude et ses politiques vont tout à fait à l'encontre des valeurs que lui dicte sa foi. Dans mon esprit, un bon chrétien se doit d'être humble.»

Il est en tout cas clair que les préoccupations du cinéaste relèvent d'un autre ordre. Les liens étroits qu'entretient l'industrie militaire avec Wall Street mènent selon lui le monde dans une impasse.

«Peut-être la crise financière actuelle aura-t-elle ceci de bon qu'elle forcera le gouvernement à freiner ses dépenses militaires. Quand tu disposes d'une armée aussi puissante, tu n'as pas le choix d'aller te battre pour faire fonctionner la machine. C'est absurde. Il y a tellement d'argent investi là-dedans qu'on se demande comment on fera pour arrêter.»

Je ne suis pas fou de W. Je trouve le portrait que dépeint Stone un peu simpliste, un peu caricatural. J'aurais préféré que le film fasse écho aux préoccupations qu'évoque le réalisateur dans ses entrevues plutôt que de s'attarder à l'anecdote. En revanche, j'admire l'abattage d'un cinéaste qui ne craint pas de mener de front ses propres guerres.