Quelle ironie! Pendant que la planète entière célèbre l'arrivée à la Maison-Blanche d'un homme intelligent, cultivé et ouvert d'esprit, voilà que, dans les rues de Los Angeles, on recommence à se colleter avec la police.

Le week-end dernier, les chaînes de nouvelles diffusées là-bas repassaient en boucle des scènes montrant la colère des gais et des sympathisants à leur cause, incrédules devant le plébiscite populaire qui revendiquait la suppression du droit des couples de même sexe de se marier en Californie.

Plus ironiquement encore, ces protestations ont commencé alors même que l'équipe de Milk assurait la promotion du nouveau film biographique réalisé par Gus Van Sant (à l'affiche le 5 décembre). «Il est certain que cette histoire prend aujourd'hui une résonance particulière, a déclaré Josh Brolin, On a l'impression que la société a évolué et puis bang! Une chose comme celle-là survient de façon parfaitement inattendue. Pouvions-nous croire que cela pourrait arriver en 2008? En Californie en plus? Je n'en reviens pas!» Précisons que Brolin tient dans le film de Van Sant le rôle de Danny White, l'assassin de Harvey Milk, ce conseiller municipal ouvertement gai, abattu en 1978 par White dans les bureaux de l'hôtel de ville de San Francisco. White avait aussi tué le maire George Moscone ce jour-là...

 

Figure mythique du militantisme gai des années 70 et des causes sociales, Harvey Milk a déjà fait l'objet d'un film * qui, en 1985, a valu à Rob Epstein l'Oscar du meilleur documentaire. «À mon sens, il est important d'évoquer le parcours de cet homme, qui reste méconnu auprès des jeunes générations, a indiqué Gus Van Sant au cours de la rencontre de presse. Il faut toujours rester vigilant. Ce qu'on vit aujourd'hui en constitue une preuve éloquente. Cela dit, le combat qu'a mené Milk n'était pas du tout de même nature que celui que nous devons livrer aujourd'hui. Il a milité à une époque où l'oppression des gais était érigée en système.»

En 1978, Harvey Milk (à qui Sean Penn prête ses traits dans le film de Van Sant) s'est notamment battu contre l'adoption de la «Proposition 6», qui, si elle avait été entérinée par le vote populaire, aurait interdit à toute personne homosexuelle (ou soupçonnée de l'être!) d'enseigner dans les écoles publiques californiennes. Cette disposition aurait aussi permis de congédier les gais en poste, de même que leurs «sympathisants». Nouvellement assermenté dans le conseil municipal de San Francisco, Milk avait alors vigoureusement mené campagne. Il a pu crier victoire le soir où les Californiens ont finalement rejeté la proposition.

Aujourd'hui, la résistance contre la «Proposition 8», plébiscitée la semaine dernière par les électeurs californiens, s'organise... un peu tout croche. La campagne en faveur de la disposition contre le mariage gai ayant été financée à coups de millions par différentes organisations religieuses (notamment les mormons), certains militants appellent carrément à un boycottage du prochain festival Sundance. La raison? Parce qu'il a lieu en Utah, l'État d'où rayonnent les mormons.

D'abord lancé sur quelques blogues, l'appel a trouvé assez de résonance dans la communauté cinématographique pour que les dirigeants du Festival, qui doivent annoncer leur programmation au cours des prochains jours, réagissent officiellement en évoquant une «grave déception» appréhendée si jamais ce mot d'ordre devait être suivi. Plusieurs intervenants du milieu, dont la cinéaste Allison Anders (Gas, Food, Lodging) et le producteur Ross Katz (Lost in Translation) font valoir que la colère collective serait très mal canalisée si Sundance devait être désigné «coupable par association» à cause de sa simple situation géographique. D'autant plus que le célèbre festival a toujours été le porte-voix de la diversité, de l'indépendance d'esprit et de l'acceptation.

Pendant que tout le monde discute, les manifestations continuent sur une base quotidienne à San Francisco et à Los Angeles. Sur le tapis rouge d'une cérémonie organisée par la section californienne de la BAFTA (l'Académie britannique du cinéma et de la télévision), Sean Penn a offert son soutien aux milliers de manifestants qui protestaient au même moment autour d'un temple mormon du voisinage, selon le journal Variety. Même le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, a parlé d'une décision «malheureuse» de la population et invite les militants à ne pas baisser les bras.

Mais que penserait Harvey Milk de ce qui se passe aujourd'hui?

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* The Times of Harvey Milk