1. La graine et le mulet, d'Abdellatif Kechiche

Il n'y a pas une minute de trop, pas un temps mort, pas une seule scène gaspillée dans ce film tour de force, cette chronique sociale brillante, drôle et émouvante, doublée d'un suspense haletant autour du destin d'un couscous («la graine») au poisson («le mulet»). La graine et le mulet est un film sur la famille, sur le quotidien, sur la vie. Celle de tous les jours, meublée de ses petites joies et de ses réelles tristesses. Un film fin, intelligent, jamais racoleur, aussi vrai que peut l'être le cinéma. Sans être bien-pensant, La graine et le mulet est aussi un film sur l'amour, et sur les petits et grands sacrifices qui l'accompagnent (notamment à l'occasion d'un montage parallèle final d'anthologie). C'est un film qui ne sonne jamais faux. Un film qui transpire la vie et l'humanité. Un grand, vraiment, un grand film.

2. There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson


Métaphore aride et violente sur l'Amérique, tour de force du brillantissime Paul Thomas Anderson - qui nous montre ici une nouvelle facette de son talent -, There Will Be Blood est un film majestueux, lancinant, inspiré par la présence quasi mystique de Daniel Day-Lewis. L'acteur anglais en fait-il trop dans le rôle de ce prospecteur pétrolier sans scrupule? Peut-être. N'empêche que There Will Be Blood transpire de sa présence, porte la marque de son visage émacié et de son regard noir de charbon. Un visage que l'on n'est pas près d'oublier.

3. Tout est parfait, d'Yves-Christian Fournier

Premier long métrage d'Yves-Christian Fournier, (autre) lauréat de la Course destination monde, Tout est parfait est un film dur et poignant sur le suicide des jeunes et sur le deuil qu'il provoque. Le deuil des parents, laissés sans réponse et multipliant les questions. Celui des amis, abandonnés eux aussi à un sentiment de trahison, de culpabilité, et quoi encore. Un film coup-de-poing, bouleversant de réalisme et de désespoir. Une oeuvre parfaitement maîtrisée, dont la réalisation épurée, d'une âpreté de circonstance, est tout aussi brillante que le scénario, fin, juste, intelligent, de Guillaume Vigneault. Un électrochoc comme on en ressent trop peu souvent.

4. Milk, de Gus Van Sant

On a retrouvé cette année Gus Van Sant là où on ne l'attendait plus, dans un cinéma plus conventionnel, à mille lieues de l'exploration formelle minimaliste d'Elephant, de Last Days ou de Paranoid Park. Avec autant de plaisir. Ce drame biographique, qui relate le destin tragique du militant gai Harvey Milk, évite l'écueil de la morale bien-pensante, sans perdre pour autant de son pouvoir évocateur. Poignant, inspirant, d'une absolue pertinence, Milk met en scène un Sean Penn au sommet de son art.

5. De l'autre côté, de Fatih Akin

Grâce à De l'autre côté, Prix du meilleur scénario au dernier Festival de Cannes, Fatih Akin poursuit une démarche entamée avec Head-On sur la quête des origines, la filiation et l'affirmation de soi. Chassé-croisé entre l'Allemagne et la Turquie, ce film de facture classique, intelligent, parfaitement dosé, d'une grande subtilité, met en scène la grande Hanna Schygulla, muse de Fassbinder, dans le rôle d'une mère blessée.

6. Persepolis, de Vincent Parronaud et Marjane Satrapi

Drôle et grave, touchant et étonnant, le récit autobiographique de Marjane Satrapi, une bédéiste française d'origine iranienne, traite d'exil et d'oppression à travers les péripéties, souvent loufoques, d'une adolescente rebelle, d'abord à Téhéran puis en Europe. Une histoire de famille atypique, racontée de manière charmante (voix de Chiara Mastroianni et de Catherine Deneuve), avec un trait de dessin singulier, la plupart du temps en noir et blanc. Un film d'animation remarquable.

7. Rachel Getting Married, de Jonathan Demme

Jonathan Demme, à l'aise autant dans le documentaire que dans le long métrage hollywoodien, propose une chronique familiale douce-amère, filmée à la manière échevelée du Dogme, tragicomique, intelligente, touchante, mettant en vedette Anne Hathaway dans le rôle d'une junkie qui prend congé de sa cure de désintoxication pour assister au mariage de sa soeur aînée. Plus d'un conflit se profile à l'horizon...

8. Burn After Reading, des frères Coen

Je n'ai jamais autant ri au cinéma cette année qu'en voyant Burn After Reading, pastiche de film d'espionnage des frères Coen. Une délirante comédie noire, avec des acteurs aussi talentueux que John Malkovich, Brad Pitt et George Clooney dans des contre-emplois délicieux. Ce n'est peut-être pas No Country for Old Men, mais c'est du Coen de haute voltige, caustique et absurde, dans la lignée de The Big Lebowski. Du bonbon acidulé.

9. Vicky Cristina Barcelona, de Woody Allen


J'aime Woody Allen, dans ses bons comme ses mauvais jours. Le très amusant Vicky Cristina Barcelona n'est pas un grand film, mais c'est un bon Woody, drôle et spirituel, campé dans un Barcelone de carte postale, avec Javier Bardem en artiste torturé qui séduit simultanément Penélope Cruz, Scarlett Johansson et Rebecca Hall. Excusez du peu.

10. Frost/Nixon, de Ron Howard

Ron Howard a tiré de la pièce et du scénario de Peter Morgan (The Queen), inspiré d'entrevues télévisées accordées en 1977 par Nixon au journaliste britannique David Frost, un film de facture classique, intelligent et divertissant, qui rend à merveille la tension des jeux des coulisses, de pouvoir et d'influence de l'après-Watergate. Frank Langella incarne avec brio le président démissionnaire, sans sombrer dans la caricature, mais avec ce qui semble être une réelle compréhension de ce personnage torturé.