Quand un restaurant ferme en ville, ceux qui travaillent dans ce milieu savent pertinemment que ce n'est pas la fin de la restauration à Montréal. Ils savent que, tôt ou tard, au même endroit ou ailleurs, un nouveau restaurant ouvrira ses portes et reprendra le flambeau.

Dans le milieu de la culture, les gens ne sont malheureusement pas habités par le même optimisme. Dès qu'un établissement culturel ferme ses portes ou change de vocation, la nouvelle est accueillie comme la fin du monde. Ainsi en fut-il pour l'annonce de la fermeture en mars prochain des trois salles de cinéma du complexe Ex-Centris.

Une roquette aurait été lancée sur l'édifice du boulevard Saint-Laurent où loge le centre fondé par Daniel Langlois que l'effet aurait été le même. Choc, tristesse, incompréhension mais surtout peur que c'en soit fini du cinéma indépendant à Montréal, autant de réactions de la part d'un milieu qui se sent perpétuellement menacé de disparition.

C'est certain, l'annonce de la fermeture d'un lieu aussi central et rassembleur qu'Ex-Centris n'est jamais une bonne nouvelle. D'autant plus que les trois salles du complexe sont les plus belles salles de cinéma en ville. La qualité de la projection, la pureté du son, le confort des sièges où l'on s'enfonce comme dans un nuage, la parfaite inclinaison du plancher permettant une vue toujours dégagée, le design moderne et inspirant des lieux, tout cela a contribué à faire de l'expérience cinématographique à Ex-Centris, une expérience agréable, voire sublime.

Mais toutes ces qualités ne changent rien au fait qu'une soirée de cinéma se décide souvent en fonction d'un horaire et de la proximité d'une salle. Combien de fois me suis-je retrouvée dans une salle moche et déprimante du cinéma Côte-des-Neiges tout simplement parce que c'était le cinéma le plus proche où était projeté le film que j'avais envie de voir ce soir-là.

Évidemment, il n'y a pas que les horaires, il y a le choix des films à l'affiche. À ce sujet, la feuille de route d'Ex-Centris, dont le premier programmateur fut Claude Chamberlan, est impeccable. À titre de diffuseur, Ex-Centris a été un instrument déterminant dans la renaissance du cinéma indépendant et du cinéma international à Montréal. Sauf qu'Ex-Centris n'est plus seul à crier dans le désert, comme c'était le cas il y a 10 ans, à l'ouverture de ses portes.

Depuis, les grandes chaînes américaines comme AMC ont intégré dans leur programmation de plus en plus de films internationaux. Pas nécessairement par grandeur d'âme, mais parce que c'était rentable. Et puis, il existe maintenant en ville au moins deux très bons cinémas indépendants.

D'abord le Beaubien, charmant petit cinéma de quartier qui présente souvent les mêmes films qu'Ex-Centris. C'est le cas en ce moment pour Séraphine et pour Valse avec Bachir.

Et puis il y a le Cinéma du Parc racheté à Langlois par Roland Smith et qui semble avoir le vent dans les voiles. Les deux fois où j'y suis allée pendant les Fêtes, il y avait une telle affluence que le bon vieux Roland Smith se chargeait se déchirer lui-même les billets avec la même belle énergie que lorsque j'ai travaillé pour lui il y a, ma foi, plus de 30 ans.

Ce qui m'amène au dernier point: la passion pour le cinéma. Roland Smith est un homme qui était sans doute déjà passionné pour le cinéma dans le ventre de sa mère. Du cinéma Outremont jusqu'à Verdi, en passant par les cinémas pornos qui l'aidaient à renflouer les caisses de ses cinémas de répertoire, Roland Smith aura été et est encore l'homme d'une cause: présenter un cinéma de qualité, diversifié et international aux Montréalais. Idem pour Claude Chamberlan, le fondateur du cinéma Parallèle et du Festival du nouveau cinéma.

Daniel Langlois, pour sa part, n'est pas de la même trempe que ces deux-là. C'est plus un homme d'avant-garde et de changement qu'un homme de cinéma. C'est aussi un homme d'affaires qui a mis sa fortune au service d'un nouvel ordre culturel. En 1999, lorsqu'il a ouvert Ex-Centris, dont la construction lui avait coûté 38 millions, il avait un but bien précis: créer en Amérique du Nord un réseau de salles parallèles à la fine pointe de la technologie dont l'expansion irait de paire avec l'expansion du nouveau cinéma indépendant.

À l'époque, Langlois croyait naïvement que le cinéma hollywoodien allait incessamment rendre l'âme. Pour une fois, il s'est trompé. Qu'à cela ne tienne. Daniel Langlois a donné 10 ans de sa vie et de son argent au cinéma indépendant à Montréal. C'est beaucoup de la part d'un homme qui, dès 1999, annonçait que si ses salles de cinéma restaient vides, Ex-Centris serait converti en centre de post-production. Les salles ne sont pas restées vides, mais en cours de route, pour une foule de raisons qui lui appartiennent, Daniel Langlois a de toute évidence perdu intérêt.