Claude Chamberlan est un être fantasque. Un beau fou qui égaie la vie montréalaise depuis plus de 40 ans. Un bourlingueur, un séducteur, un passionné de cinéma qui se nourrit de rêves. Il est connu autant à Rotterdam qu'à San Sebastian, à Venise qu'à Cannes, à Berlin qu'à Thessalonique.

Je le sais. Dans tous les festivals de films que j'ai fréquentés, on m'a parlé de «Claude». Toujours avec ce sourire complice et convenu, qui disait sans le dire: «Quel beau fou!» Je me fie aveuglément à son flair de cinéphile, mais jamais il ne me viendrait à l'esprit de lui confier, même pour un après-midi, la gestion de la tirelire de mon fils de deux ans et demi.

Les gestionnaires gèrent. Les beaux fous rêvent. Parfois même à voix haute. Claude Chamberlan a une grande gueule. À la mesure de certains de ses projets de mégalomane. C'est un homme spontané - que d'aucuns diraient candide - prompt à partager ses joies et ses peines, sans y réfléchir, pour le meilleur et pour le pire.

Claude Chamberlan, comme bien des cinéphiles, est en deuil des salles de cinéma du complexe Ex-Centris, qui doivent fermer dans moins de deux mois. Il est particulièrement en deuil du Parallèle, qu'il a fondé il y a 41 ans. Aussi, lundi, a-t-il confié avec enthousiasme à mon collègue Paul Journet qu'on envisageait la construction de nouvelles salles de cinéma, au centre-ville de Montréal, où pourrait peut-être renaître le Parallèle.

Il s'agit d'un projet. Chamberlan a toujours des projets plein la tête. On a pensé à un lieu, à un architecte, à un concept, a-t-il précisé. Des gens, des institutions, ont manifesté leur intérêt, parmi lesquels Daniel Langlois. On est loin de la première pelletée de terre. C'est le projet d'un beau fou qui a la prudence de préciser que «rien n'est encore confirmé ou signé».

On lit entre les lignes que ce que propose l'homme de cinéma à son milieu encore sous le choc, c'est une part de rêve. Une étincelle, une impulsion, une raison de croire qu'il y a un avenir pour le cinéma d'auteur après Ex-Centris.

Comme cinéphile, je me suis réjoui de ce projet embryonnaire, en le prenant pour ce qu'il est: l'ambition, sans doute idéaliste, d'un homme qui refuse d'abdiquer. Je me suis dit que d'autres auraient le même sentiment, embarqueraient dans le train, se rallieraient au projet.

Le lendemain, j'ai pu mesurer l'ampleur de ma naïveté. Non seulement le milieu du cinéma n'a pas salué l'initiative de Chamberlan, mais ses propres «alliés» se sont retournés contre lui, sacrifiant le bouc émissaire sur l'autel de la rectitude politique.

Est-il imprudent d'évoquer un projet d'une telle envergure avant qu'il ne soit coulé dans le béton? Sans doute. Chamberlan a-t-il parlé trop vite? Peut-être. Peut-on lui reprocher d'allumer un lampion pour le cinéma indépendant? Pantoute.

Lorsqu'on ne peut contrôler le message ou que le message nous déplaît, on tire sur le messager. Le réflexe est vieux comme le monde. Mardi, réagissant à cette «bonne nouvelle», les directions d'Ex-Centris, du Festival du nouveau cinéma et du Parallèle y sont allées d'un tir groupé, visiblement téléguidé, contre Chamberlan (et accessoirement, contre le journaliste à qui il a fait ses confidences).

Dans un communiqué d'une consternante inélégance, le Festival du nouveau cinéma a tenu à démentir une information qui n'a jamais été publiée (le summum de l'absurdité) et a laissé entendre que Claude Chamberlan, son directeur artistique et fondateur, n'était pas «habilité à s'exprimer au nom» du FNC. Pardon? Qui peut parler au nom du FNC? Le tapis de bain?

Au même moment, dans un geste tout aussi courageux, la direction du Parallèle a ajouté que Claude Chamberlan, son fondateur, n'avait «aucune légitimité, ni autorité, pour parler au nom» du Parallèle. Vous voulez rire? Sans Chamberlan, il n'y aurait pas de Parallèle.

Pourquoi, vous demandez-vous, un petit cinéma qui n'a plus de salle et un festival menacé de ne plus en avoir, désavouent-ils aussi lâchement celui qui les a mis au monde? Peut-on renier son âme? Il semble que oui, en sacrifiant le fou pour calmer la colère du prince mécène. Même la dignité se monnaie.

Les conséquences de l'indiscrétion de Claude Chamberlan à propos de ce projet de salles de cinéma seront peut-être graves. Peut-être que le FNC ne sera plus le bienvenu à Ex-Centris. Peut-être que le projet d'un nouveau Parallèle sera compromis. Peut-être que Daniel Langlois, malmené par les médias depuis une semaine, aurait préféré en faire l'annonce lui-même. Je n'en sais rien.

Ce que je sais, c'est que la réaction des gens du Parallèle, du FNC et d'Ex-Centris à cette nouvelle, qui aurait dû en principe les enthousiasmer, est grave. Elle illustre la faiblesse, la fragilité et la petitesse d'une industrie qui n'admet plus qu'un beau fou rêve à voix haute.