Je ne suis pas venu à Berlin très souvent. Ce n'est que ma troisième présence ici. Chaque fois, le sentiment est le même. D'abord, cette émotion d'arriver dans une ville dont le caractère est unique. Malgré ses avancées frondeuses vers la modernité, illustrées par l'émergence soudaine d'une nouvelle - et spectaculaire - architecture, la capitale allemande reste à jamais marquée par son histoire douloureuse. Cela se voit, cela se sent.

En me rendant dans les quartiers généraux de la 59e Berlinale, lancée hier soir avec la présentation de The International, j'ai par ailleurs eu l'impression d'avoir été téléporté plus de 20 ans en arrière, au beau milieu des plus belles années du Festival des films du monde.

À Potsdamer Platz, j'ai en effet vu une véritable effervescence. Au centre commercial Arkaden, où se trouvent les kiosques de vente des billets, de nombreux festivaliers profitaient des moments d'attente devant les guichets pour éplucher le catalogue de façon scientifique, crayons de différentes couleurs à la main, histoire de dégager des listes prioritaires.

Contrairement à Cannes, où seuls les professionnels sont admis aux projections; à la différence aussi de Toronto, où le public et les gens de l'industrie vivent leur festival de façon parallèle sans jamais se croiser ou presque, Berlin se fait un point d'honneur de convier public et professionnels aux mêmes projections, à la même fête. L'an dernier, plus de 240 000 places de cinéma ont été vendues. À telle enseigne que le prestigieux Friedrichstadtpalast, un théâtre de plus de 1600 places, se joint cette année à l'événement.

Tom Tykwer, réalisateur de The International, connaît très bien ce festival. Et pas seulement parce qu'il a déjà eu l'honneur de l'inaugurer il y a sept ans avec Heaven. Le cinéaste affirme sans ambages devoir sa vocation de cinéphile à la Berlinale.

«J'ai commencé à fréquenter ce festival à l'âge de 16 ans, me disait-il la semaine dernière au cours d'une interview accordée à Los Angeles. À l'époque, c'était en 1982 je crois, je n'habitais pas à Berlin mais je faisais le voyage tous les ans avec mes propres - et très modestes - moyens. Je louais une chambre dans un hôtel bon marché. Je me procurais un laissez-passer cinéphile qui, pour 120 marks, donnait accès à toutes les projections, et je me farcissais goulûment cinq ou six films par jour. Je n'ai pratiquement jamais manqué le festival!»

Même si le succès international de Cours, Lola, cours a radicalement changé son statut (et sa vie!), Tykwer essaie, dans la mesure du possible, d'honorer son rendez-vous cinéphilique annuel. «Même si je ne suis pas le plus objectif, ce festival reste à mes yeux le plus intéressant de tous parce qu'il est fréquenté par un public fin connaisseur, à la fois très enthousiaste et très critique. Et puis, on sent qu'un effort tangible a été fait depuis quelques années pour relever la qualité de la compétition. J'ai l'impression qu'auparavant, les sélectionneurs étaient un peu trop préoccupés par la nature politique des films qu'ils choisissaient. Ils s'empêchaient de voir plus large. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cela dit, cette volonté de faire écho à l'actualité mondiale demeure absolument nécessaire, car elle donne à Berlin sa distinction. Mais elle ne constitue plus le seul critère de sélection.»

Le réalisateur du Parfum fait en outre partie des 13 cinéastes allemands ayant participé à l'élaboration d'Allemagne 09, 13 courts métrages sur l'état de la nation, l'un des films-événements de cette Berlinale, présenté hors compétition. Vingt ans après la chute du mur (et un peu plus de 30 après L'Allemagne en automne, un autre collectif auquel avaient notamment contribués Fassbinder et Wenders), des cinéastes de toutes générations, parmi lesquels Wolfgang Becker (Goodbye Lenin), Fatih Akin (De l'autre côté), Dani Levy (RobbyKallePaul) et Hans Weingartner (The Edukators), proposent, chacun à leur façon, une vision impressionniste et contemporaine du pays dans lequel ils vivent.

Tykwer, qui s'est prêté à un exercice semblable il y a quelques années avec Paris, je t'aime, estime que ce genre de projet donne toujours un résultat intéressant, malgré les inévitables ruptures de ton.

Aujourd'hui, le cinéaste cinéphile quitte son festival chéri pour accompagner la première nord-américaine de The International à New York. Une réception est prévue au musée Guggenheim (où se déroule l'une des scènes-clés du film). Dès le lendemain, Tykwer rentre chez lui. Parce qu'il lui reste encore beaucoup trop de films à voir.

Voir un ami pleurer...

Je n'ajouterai rien à tout ce qui s'est déjà dit et écrit sur Polytechnique. Enfin, si. Peut-être deux petites choses. D'abord, au-delà des remarquables qualités cinématographiques du film de Denis Villeneuve, chaque individu reste parfaitement libre de son choix d'aller voir ou pas. Cela est entendu. D'autant plus qu'il s'agit, disons-le, d'une expérience viscérale, physique. Personnellement, je suis ressorti de la projection pratiquement en état de choc, comme tétanisé, surpris d'avoir été confronté à la tragédie de façon si brutale. J'aurais bien voulu accompagner dans son émotion le spectateur assis à mes côtés, que j'ai senti atteint dans sa chair. Mais j'en fus incapable. La nausée était trop forte.

Bien sûr il y a les guerres d'Irlande. Et les peuplades sans musique...