Marc Béland me retrouve au Petit Extra, rue Ontario Est. Le comédien, qui s'apprête à jouer Woyzeck dans une mise en scène de Brigitte Haentjens à l'Usine C (dès le 17 mars), est le président du jury professionnel du 12e Festival international du film pour enfants de Montréal (FIFEM), qui a lieu jusqu'au 8 mars. Discussion sur la paternité

Marc Cassivi: Comment en es-tu venu à devenir porte-parole du FIFEM?

Marc Béland: C'est tout bête. L'année dernière, je suis allé voir un film au Festival avec ma fille de 8 ans et en sortant de la projection, au cinéma Beaubien, on m'a apostrophé en me demandant si j'avais envie d'être porte-parole. J'ai dit oui et ils m'ont pris au mot!

M.C.: On m'a dit que tu réfléchissais beaucoup à la paternité.

M.B.: C'est un sujet d'actualité. Il y a plusieurs écoles, plusieurs tendances. J'ai envie de citer Nancy Huston qui dit qu'il reste encore tout à dire sur le fait d'avoir des enfants. As-tu des enfants toi aussi?

M.C.: Oui. J'ai deux garçons de cinq ans et deux ans et demi.

M.B.: C'est sportif! Nancy Huston parle de trois auteurs contemporains dits nihilistes, Kundera, Peter Handke et Christian Bobin, et de la place qu'a l'enfant dans leur écriture. C'est vraiment très intéressant. Ça permet de sortir un peu des clichés que l'on entend sur la paternité aujourd'hui. Ce n'est pas toujours la couverture de la revue Elle, bien rose, où tout semble beau.

M.C.: Avec le titre: «La paternité a changé ma vie». C'est vrai que ça change la vie. Mais on l'aborde souvent en disant seulement qu'on devient moins égoïste en devenant père, sans en dire davantage.

M.B.: On ne rentre pas dans le privé. Je me considère sensible, intelligent, et la paternité m'a profondément bouleversé. Pas toujours d'une façon qui se partage facilement. Un homme m'avait averti que les enfants faisaient sortir les démons. Seulement un. Entre hommes, on aborde plutôt la paternité de manière jovialiste. C'est pour ça que j'abonderais dans le sens qu'il reste encore tout à dire sur le fait d'avoir des enfants. Le fait d'avoir eu une fille m'amène à mieux comprendre mon père, ou ce que l'on appelle le silence des hommes. Est-ce que les hommes se sont tus parce qu'ils ont senti des choses qu'ils considéraient, comme moi, honteuses? Est-ce que les hommes partent tout à coup, est-ce qu'ils boivent, parce que la présence d'un enfant leur devient insupportable? Parce qu'elle fait écho à des choses qu'ils ne veulent pas entendre ni sentir? Parce qu'elle les renvoie inconsciemment à leur innocence perdue? C'est là où j'en suis dans ma réflexion.

M.C.: Les hommes partent, partaient, parce que la responsabilité d'être père leur semble trop lourde.

M.B.: Ça me renvoie, sans entrer dans les détails, aux parties blessées de ma propre enfance. Alice Miller dit que l'arrivée d'un enfant peut faire remonter à la surface des parties de toi-même que tu pensais enfouies. Ç'a l'air bien grave et bien profond mon affaire! (rires)

M.C.: Tu parlais de ces nihilistes, Kundera, Bobin... Moi qui suis de nature plutôt cynique, je n'ai pas l'impression d'avoir complètement changé à la naissance de mes garçons. Bien sûr, j'ai pris conscience de bien des choses en devenant père, mais je reste très cynique, alors que la paternité aurait peut-être dû me mener ailleurs.

M.B.: Je crois qu'on est tous comme ça. On a tous une partie extrêmement cynique, moi le premier. Mais la paternité m'a confronté à mes valeurs. À l'héritage que je transmets à ma fille. La paternité m'a forcé à considérer mes croyances. On la fait baptiser ou pas? Qu'est-ce que ça veut dire pour la suite des choses? Pour ma famille? Sans être croyant, l'arrivée d'un enfant m'a fait sentir le besoin de rituels. De rassembler les proches pour accueillir cette enfant-là et lui souhaiter la bienvenue.

M.C.: Quand mon premier est né, je me souviens d'avoir été ultra précautionneux sur la route, en rentrant à la maison de l'hôpital. Ce fut une vraie prise de conscience. Je n'étais plus responsable que de moi.

M.B.: La paternité m'a aussi fait voir la difficulté que j'ai avec l'autorité. J'ai été élevé de façon très contrôlée, sans trop d'autonomie ni de responsabilités. J'ai de la misère à poser le pied à terre pour imposer les limites. Je le fais, mais c'est difficile.

M.C.: C'est comme un rôle que tu joues? Tu en mets davantage que ce qui te vient naturellement?

M.B.: Je pense que oui. Mais je vois bien que ma fille en a besoin. C'est une belle chose la paternité. J'ai 50 ans et c'est l'une des choses qui me permettent le plus de m'améliorer au quotidien. Je me demande pourquoi on prend des cours de conduite obligatoires pour obtenir un permis de conduire, mais que pour devenir parent, il n'y a pas d'école. On devrait tous avoir des cours obligatoires pour apprendre le b.a.-ba de la communication avec notre enfant. Il me semble que ce serait partir de la source pour éviter bien des maux qui suivent.

M.C.: Il y a des constantes.

M.B.: Bien sûr. Tous les grands dictateurs ont été des enfants battus, terrorisés. On devrait en tirer des conclusions et faire davantage attention à la manière dont on éduque nos enfants. Je ne suis pas du tout parfait comme père, mais j'admets mes erreurs à ma fille. Je trouve ça important.

M.C.: Tu parlais des démons éveillés chez toi par la paternité...

M.B.: Il y a une dualité. Il y a la lumière, le bonheur, la joie, et dans les mêmes proportions, l'angoisse et la panique. C'a à voir avec quelque chose qui a été éteint ou brisé chez moi et qui fait que j'ai peur de faire subir à ma fille ce que j'ai moi-même subi. Mais j'ai beaucoup travaillé là-dessus. Je trouve ça passionnant d'être en contact avec ces deux choses: les démons et la beauté. Ce sont deux pôles que nous portons tous. Et qui m'intéressent beaucoup.