Huit «Objectifs du millénaire pour le développement de la planète» ont été adoptés en septembre 2000 par les Nations unies. Près de 200 gouvernements se sont engagés à réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015. Rien que ça...

Huit voeux pieux pour se donner bonne conscience et faire plaisir à Bono? Ou un engagement réel et tangible envers les nations les plus pauvres?

Les producteurs Lissandra Haulica et Marc Oberson ont proposé à huit cinéastes de réfléchir collectivement à ces «Objectifs du millénaire», à mi-parcours de l'engagement mondial.

Gus Van Sant, Wim Wenders, Jane Campion, Jan Kounen, Mira Nair, Gael Garcia Bernal, Gaspar Noé et Aderrahmane Sissako ont accepté le défi de mettre cette réflexion en images, de manière à rappeler leurs promesses aux politiciens et de sensibiliser la population aux effets de la pauvreté.

Dans le film 8, ils abordent chacun l'un des huit thèmes des fameux «Objectifs du millénaire», qualifiés par Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix 2006, comme «la décision la plus audacieuse prise par l'humanité». Excusez du peu.

Dévoilé en primeur au dernier Festival de Rome, 8 sera présenté en première nord-américaine, jeudi prochain, à l'auditorium de l'Université Concordia, en ouverture du 4e Festival de films sur les droits de la personne de Montréal, qui se déroulera du 12 au 22 mars, aux cinéma ONF et du Parc.

Les films «pour une bonne cause» succombent souvent au piège du racolage misérabiliste. Aussi, 8 aurait facilement pu être didactique et bien-pensant. L'oeuvre collective, forcément inégale, est au contraire poétique et fort intéressante.

À commencer par Le rêve de Tiya, d'Abderrahmane Sissako (La vie sur Terre), une fiction tournée dans une école d'Addis-Abeba (objectif 1: Éradiquer l'extrême pauvreté et la faim). «Pourquoi tu ne parles pas plus fort?», demande son instituteur à la jeune Tiya. «Parce que je n'y crois pas», répond-elle.

Le comédien mexicain Gael Garcia Bernal a tourné un court métrage subtil et élégiaque à Reykjavik (!), autour d'un jeune écolier, inspiré par l'objectif 2 (Assurer l'éducation primaire pour tous). Quant à Gaspar Noé (Irréversible), son documentaire âpre et cru sur l'objectif 3 (Combattre le VIH/sida) témoigne des réflexions intimes sur la mort d'un sidatique du Burkina Faso, veuf et père de quatre filles.

Mira Nair (Salaam Bombay!) s'est intéressée à l'égalité des sexes (objectif 4) dans une fiction, How Can it Be?, tournée avec des personnages pakistanais à Brooklyn. Jane Campion (La leçon de piano) propose une fable émouvante sur l'environnement (objectif 5), à travers l'histoire d'une famille australienne victime de la sécheresse.

Gus Van Sant (Paranoid Park) livre un pamphlet contre la mortalité infantile (objectif 6), appuyé par un bombardement statistique. «L'eau polluée tue 1,8 million d'enfants chaque année», lit-on à l'écran, pendant qu'un adolescent fait du skateboard dans la piscine vide d'un quartier cossu de San Francisco.

Jan Kounen (99 francs) aborde l'objectif 7 (Améliorer la santé maternelle) par l'intermédiaire d'une lancinante légende inca dans l'Amazonie péruvienne et Wim Wenders (Paris, Texas), décidément resté coincé dans l'esthétique des années 80, évoque la nécessité de mettre en place un partenariat mondial pour le développement (Objectif 8), par le microcrédit, dans un film sur le rôle des médias tourné à Berlin. Malgré le Wenders, fleur bleue au possible, 8 reste un film qui, au-delà du cynisme, fait réfléchir. Ce qui est déjà pas mal.

Le «film de l'année»

Je me soumets parce qu'il le faut, comme tout le monde, à la règle de l'embargo critique, qui veut que l'on réserve ses commentaires sur un film pour le lendemain de sa première présentation publique.

Les distributeurs permettent aux journalistes de voir les films avant qu'ils ne prennent l'affiche, afin qu'ils puissent préparer leurs entrevues avec les acteurs et le réalisateur. En échange, le journaliste ne dit pas d'emblée tout ce qu'il a pensé d'un film. C'est un échange de bons procédés. Enfin, c'est ce que je me répète souvent, pour essayer de m'en convaincre.

Sauf que lorsque j'entends, comme cette semaine, un chef d'antenne (cette fois-ci à LCN) dire que «selon plusieurs critiques, Dédé à travers les brumes pourrait être le film de l'année», alors qu'aucun critique ne s'est encore prononcé, je me dis que cette histoire d'embargo n'est qu'un subterfuge de plus imaginé par le milieu du cinéma, ici comme ailleurs, pour créer un buzz autour d'un film avant sa sortie... et avant la critique.

Douloureusement mauvais

Je l'ai souvent écrit: la critique sert entre autres choses de rempart entre le public et l'industrie du cinéma qui, à grand renfort de publicité, aimerait nous faire croire que tous les films sont bons, qu'ils méritent tous d'être vus et que d'aller au cinéma, c'est encourager l'économie locale en faisant sa part pour que le monde occidental sorte de sa morosité économique.

Le hic, c'est que tous les films ne sont pas bons. Il est de la responsabilité de la critique, entre autres choses, d'en avertir le public. Pour qu'il puisse investir ce qui lui reste d'économies et de temps ailleurs. L'ami Lussier en a parlé sur son blogue, en début de semaine, après avoir reçu une volée de bois vert de la part de l'équipe du Bonheur de Pierre (auquel il a accordé la cote «à éviter»).

La chose m'a particulièrement fait sourire. Pas parce que je souhaite du bois vert à mon collègue, mais parce que Le bonheur de Pierre est un film indéfendable. Je m'étonne que ses artisans volent à sa rescousse. N'ont-ils aucune lucidité, aucun recul, aucun esprit critique?

Ce film n'est pas seulement mauvais, comme l'a souligné la très grande majorité des critiques. Il est douloureusement mauvais. C'est ça, sans doute, qui fait mal.