Dédé à travers les brumes, à l'affiche depuis hier, est un beau et bon film. Magnifiquement réalisé par Jean-Philippe Duval, interprété avec une acuité remarquable par Sébastien Ricard, qui incarne un Dédé Fortin à fleur de peau, exalté et fragile, tout à fait crédible.

C'est un hommage élégiaque à un artiste disparu. Un film qui met sa musique au premier plan, grâce à une remarquable bande sonore. Un film ponctué de séquences d'animation particulièrement inspirées, qui donne envie de réécouter et de redécouvrir les chansons des Colocs (j'écoute en boucle Dehors novembre depuis que je l'ai vu).

Dédé à travers les brumes est aussi une biographie filmée classique. Un film qui, malgré quelques singuliers apartés - j'aurais souhaité encore davantage d'animation -, a fait le pari du réalisme. Pari tenu, grâce à la performance juste, précise et sentie de Sébastien Ricard.

Le deuxième long métrage de Jean-Philippe Duval reste un film imparfait. Il est inévitable que les proches de Dédé se reconnaîtront peu ou prou dans les personnages de ce film de fiction. C'était entendu (voir la chronique d'hier de mon collègue Marc-André Lussier). Mais fallait-il faire de Serge Robert, alias «Mononc' Serge», une caricature burlesque de bouffon, ne servant qu'à détendre l'atmosphère entre deux scènes dramatiques?

Dédé à travers les brumes m'a fait l'effet de montagnes russes. Des moments de grande émotion et de profonde vérité, suivis de scènes banales ou improbables. J'ai eu les larmes aux yeux, puis dans la foulée, je me suis ennuyé, tout ça pendant les 2h20 que dure le film.

J'ai été séduit par les séquences poétiques à l'appui de la musique des Colocs: Dédé courant dans la neige pieds nus, la mort lente de Patrick Esposito Di Napoli, le coma de Mike Sawatzky... Mais j'ai souvent décroché aux moments où, plutôt que des paroles de chansons, Duval met des dialogues dans la bouche de ses personnages.

Les dialogues m'ont parfois semblé plaqués, appuyés, invraisemblables ou maladroits. Des dialogues à thèse, qui sonnent faux ou ne coulent pas de source. Des dialogues qui tentent d'expliquer, en trois répliques, pourquoi Dédé Fortin tenait à la souveraineté du Québec, pourquoi il était infidèle ou pourquoi il souffrait des attentes de tout un chacun.

Je comprends qu'un scénariste doive prendre certains raccourcis pour illustrer ses idées, mais il n'est jamais heureux de négliger la crédibilité des dialogues afin d'expliciter un contexte social ou politique. Un exemple:

Dédé: «Depuis que je suis à Montréal, je sens que tout est possible...»

Nicole (sa blonde): «C'est drôle que tu dises ça. Moi aussi je suis optimiste. J'ai l'impression que notre génération a quelque chose à faire et à dire.»

Dédé: «C'est pas parce que le référendum est perdu qu'y a plus rien à faire. Au contraire, la fin du siècle nous appartient. Il reste 15 ans avant l'an 2000. Il faut en profiter!»

Ce qui m'amène à un constat, pas très original: un bon réalisateur ne fait pas nécessairement un bon scénariste. Ce n'est pas précisément le problème de Jean-Philippe Duval. La structure de son scénario m'a même semblé ingénieuse. Mais ce cinéaste doué ne se démarque pas particulièrement par ses dialogues. On ne peut pas avoir tous les talents.

Ode à la vie

La vie moderne, magnifique documentaire de Raymond Depardon, a pris l'affiche la semaine dernière. Malgré le retard, j'ose vous en parler tellement ce film vaut la peine d'être vu.

La vie moderne, titre antinomique s'il en est, s'intéresse au quotidien dur et lent des paysans des Cévennes, dans le sud de la France. Raymond Depardon, prolifique photographe et documentariste, a suivi pendant 10 ans le parcours de quelques familles terriennes. Il en a tiré deux «profils paysans», préparatoires à La vie moderne, film humaniste, d'une grande beauté formelle, qui a remporté l'an dernier le prix Louis-Delluc (le «Goncourt du cinéma»).

Raymond Depardon a fixé sa caméra entre autres sur Alain Privat, récemment marié à une femme du Nord, mère d'une fille taciturne de 15 ans, et sur ses deux vieux oncles célibataires, nostalgiques de l'époque où d'autres parlaient aussi l'occitan. Des personnages formidables: l'un est aussi renfrogné que l'autre est bavard.

Marcel Privat, à moitié sourd, ne vit que pour son travail à la ferme. On le retrouve dans tous ses états parce qu'une de ses vaches, surnommée «Capricieuse», va mourir.

Depardon filme avec un souci particulier du détail les petites tensions familiales. La vie moderne se présente comme une collection de portraits psychologiques saisissants, instantanés de quotidiens presque immobiles. Un vieil ami, Paul, vit seul à la ferme, et regarde silencieusement les funérailles de l'abbé Pierre. Un couple de paysans aussi peu loquaces, Marcel et Germaine, reçoit le cinéaste très tôt à la ferme, avant la traite.

La vie moderne est bercée de silences. Celui de ces paysans pour qui les gestes comptent davantage que les paroles, souvent futiles. C'est un film forcément contemplatif, guidé par la narration engageante et chaleureuse de Raymond Depardon, qui impose un style de réalisation unique à son documentaire. C'est un film lumineux sur une réalité sombre.

Des campagnes françaises se vident, des villages sont complètement désertés, des fermes sont abandonnées, de jeunes couples sont laissés à eux-mêmes et à leurs désillusions. «Je veux faire le même métier que mon père», dit un jeune garçon. «Bientôt, ce métier n'existera plus», lui répond sa mère. C'est aussi ça, la vie moderne.