Depuis le temps que nous l'attendions, que nous le réclamions à grands cris, particulièrement à la faveur de nos reportages sur les films les plus marquants de l'histoire du cinéma québécois, voici enfin un premier coffret regroupant cinq films de Gilles Carle en DVD. Nos prières ont été exaucées.

Distribué par Imavision, lequel l'a élaboré en collaboration avec Les Films de ma vie (la compagnie de diffusion que dirige Roland Smith) et l'ONF, ce coffret «hommage» offre des copies «remasterisées» - donc impeccables - de La vie heureuse de Léopold Z, La vraie nature de Bernadette, La mort d'un bûcheron, Les corps célestes et La tête de Normande St-Onge. Souhaitons l'arrivée un jour des autres films qu'a signés l'auteur cinéaste. Seuls Les Plouffe et Pudding chômeur sont aussi offerts en DVD pour l'instant.

On ne peut que souligner à quel point, au moment où le milieu du cinéma s'apprête à célébrer l'excellence de ses artisans aux Jutra, l'apport de Carle est inestimable dans notre paysage culturel. J'entendais Micheline Lanctôt, l'inoubliable Bernadette, dire un peu plus tôt cette semaine que le Québec devait pratiquement à Carle son cinéma de fiction.

En détournant un projet de court métrage documentaire sur le déneigement pour accoucher de son fameux Léopold en 1965, le cinéaste a en effet jeté les bases d'un cinéma procédant d'une véritable démarche artistique, tout en tendant au peuple d'ici un miroir dans lequel il avait la possibilité de se révéler à lui-même. Ce faisant, toutes ces oeuvres traversent les modes et les époques. Et demeurent, plus de 30 ans après leur création (parfois même plus de 40), toujours aussi pertinentes, toujours aussi étonnantes.

Du coup, je me suis demandé comment un jeune Carle se dépatouillerait dans notre contexte de production actuel, axé principalement sur la notion de «performance». Comment serait-il traité à l'intérieur d'un système dans lequel des cinéastes chevronnés doivent constamment remettre leurs compteurs à zéro quand vient le moment de proposer un nouveau projet de film? Que ferait-on d'un Carle aujourd'hui?

Sur la jaquette du coffret, on voit la photo d'un homme en pleine possession de ses moyens, la quarantaine frondeuse et séduisante, cadrant de ses mains un plan qu'il regarde à travers ses verres fumés. Une vision d'artiste, en somme. Tout en produisant des films profondément ancrés dans sa propre société, Carle fut probablement le premier de nos cinéastes à bénéficier d'une véritable reconnaissance internationale. Et pas seulement à l'intérieur du circuit des festivals.

«Nous récoltons aujourd'hui ce que tu as semé, toi, le premier en tout!» lui a dit la réalisatrice de Sonatine lors du lancement du coffret, lequel a eu lieu en présence du cinéaste, gravement atteint par la maladie de Parkinson *.

À cet égard, je vous recommande le très beau film que Charles Binamé a réalisé il y a quelques années. Gilles Carle ou l'indomptable imaginaire sera présenté ce samedi à 13 h à la Première Chaîne de Radio-Canada (dans le cadre de Zone Doc) et sera aussi sur DVD dans quelques semaines. On y voit notamment le cinéaste, même diminué par la maladie, exprimer son art à travers le dessin.

Sa fidèle complice, Chloé Sainte-Marie, redonne aussi à son amoureux sa parole d'artiste. Le dernier scénario écrit par Carle, Mona McGill et son vieux père malade, nous en apprend ainsi beaucoup sur la lucidité d'un créateur aux prises avec sa souffrance. Et avec la mort qui est tout au bout, comme le chantait Brel.

Gilles Carle, qui célébrera son 80e anniversaire de naissance cette année, est pratiquement réduit au silence aujourd'hui. Mais il garde sa vivacité d'esprit. Il fait même parfois des apparitions publiques, un peu comme pour nous rappeler qu'il se tient malgré tout du côté de la vie. Son cinéma nous a révélé ce que nous sommes. L'homme, lui, nous montre ce qu'est la dignité. Merci, Gilles.

Suprême ironie

Cela n'a rien à voir avec le sujet précédent. Enfin si. Peut-être un peu. Il est parfois de ces situations qui relèvent d'une suprême ironie. Cruising Bar 2 est le film québécois le plus populaire en 2008. Le jour même où Téléfilm Canada «salue» ce succès (c'est l'expression de l'organisme) en remettant une bourse de 40 000 $ à ses artisans principaux au cours d'une petite cérémonie tenue à Montréal, l'équipe de critiques réunie par l'émission Infoman attribuait à Cruising Bar 2 l'Aurore du «meilleur pire film de l'année». Insérez ici votre propre blague, moi je ne m'en mêle plus.

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* Pour chaque coffret vendu, les producteurs remettront 1,50 $ à la Fondation Maison Gilles Carle. Les sommes serviront à couvrir les frais d'exploitation d'une maison d'hébergement à l'intérieur même de la résidence personnelle de Carle et de Chloé Sainte-Marie. On compte y accueillir dès cet été quatre patients souffrant de maladie dégénérative.